Affaires
Dix milliards de DH sur le bureau de Driss Jettou
La Commission des investissements se réunit le 7 septembre pour statuer sur sept gros projets.
2 milliards de DH dans le textile, 1,6 milliard dans le ciment et 6 milliards dans les hydrocarbures.
Le gouvernement envisage de proposer des packages-types aux investisseurs.
Le détail des projets d’investissement de Legler, Settavex, Fruit of The Loom, Lafarge et Holcim.
La rentrée a été entamée sur les chapeaux de roues. Après une première semaine placée sous le signe du social (voir pages 38 à 40), le gouvernement reprend à partir de ce lundi 6 septembre les gros dossiers à caractère économique et financier. Un des rendez-vous les plus importants sera incontestablement la réunion de la Commission des investissements, prévue mardi 7 septembre. Une réunion importante pour la simple raison qu’au menu, le Premier ministre prévoit de statuer sur sept gros dossiers d’investissement portant sur une enveloppe globale de 10 milliards de DH. Ce qui fait de cette réunion probablement la plus importante de toutes celles tenues par la commission depuis sa création, en 1998. Y prendront part également six autres ministres et les représentants de plusieurs administrations concernées.
Au menu, figurent quatre projets dans le secteur textile, deux dans le secteur cimentier et un dans les hydrocarbures.
Pour le textile, c’est essentiellement la filière en amont qui est concernée, notamment le tissage. Et il s’agit de projets très importants pour l’avenir de la filière au Maroc. En effet, avec la fin du démantèlement de l’accord multifibres en 2004, l’avenir de la filière se jouera sur son intégration en amont, au Maroc ou à proximité immédiate. C’est pourquoi il est essentiel de disposer d’unités de production de tissus.
Deux des projets sont à l’actif du groupe italien Legler qui s’est associé à la famille Senoussi pour la réalisation de deux usines. La première, qui nécessitera une enveloppe globale de 750 MDH, est un complexe industriel intégré qui sera installé à Skhirat. Il sera composé d’une unité de tissage de denim pour les jeans, d’une capacité de 24 millions de mètres par an et d’une unité de filature d’une capacité de 9000 tonnes par an. Il permettra de créer pas moins de 800 emplois permanents directs. L’italien prévoit, en second lieu, de monter à Bouknadel (route de Kénitra) une unité de confection et de délavage, pour un montant de 150 MDH, avec la création de 500 emplois.
Les cimentiers augmentent leurs capacités de production
Les membres de la commission se pencheront également sur le projet présenté par la société espagnole Settavex, basée à Settat. Celle-ci se propose d’investir 450 MDH pour augmenter sa capacité de tissage et de finissage respectivement à 21 et 26 millions de mètres linéaires par an.
Enfin, et toujours à Bouknadel à Salé, le mythique groupe américain Fruit of The Loom va procéder à l’extension de son unité actuelle par la réalisation d’un centre de logistique ainsi que d’une unité de filature, de tissage et de teinture pour un investissement de 700 MDH.
A côté du secteur textile qui totalise 2 milliards de DH, la commission devra statuer sur deux dossiers dans le secteur cimentier pour un montant d’environ 1,6 milliard de DH. Le premier consiste en un vaste programme d’investissement proposé par le français Lafarge qui compte allouer 935 MDH à l’augmentation de la capacité de son usine de Bouskoura, qui passera de 2,1 millions de tonnes par an à 3 millions. Sur le même site, le cimentier compte investir également 269 MDH pour la mise à niveau de certaines installations, notamment la station de chargement du clinker, les aires de réception du coke de pétrole ainsi que celles de la palettisation des sacs de ciment. Le programme comprend d’autres volets, comme la mise à niveau des équipements mécaniques et électriques de l’usine de Meknès, pour un montant de 89 MDH, la modernisation de la station de broyage et d’ensachage de Tanger (113 MDH) et l’extension de l’usine de plâtre de Safi où seront installés une nouvelle ligne de cuisson et un nouvel atelier d’ensachage nécessitant un investissement de 33 MDH.
Toujours dans le secteur cimentier, le groupe helvétique Holcim compte réaliser à Settat un important centre d’ensachage et d’expédition qui requiert un investissement global de 200 MDH.
Pour le secteur des hydrocarbures, la commission devra statuer sur le gros dossier de la Samir, qui compte investir 6 milliards de DH pour la modernisation de son site de Mohammedia (voir la Vie éco du 9 et du 23 juillet).
S’il est vrai que l’importance de la prochaine réunion de la Commission des investissements, prévue le 7 septembre, tient avant tout à l’ampleur des programmes qui seront passés en revue, il est une autre raison qui laisse penser que cette séance de travail ne sera certainement pas une partie de plaisir.
Les contraintes budgétaires limitent la marge de manœuvre de l’Etat
En effet, si le montant d’investissement de l’ensemble de ces projets avoisine le milliard de dollars – ce qui représente en somme l’équivalent d’une bonne opération de privatisation – il n’en demeure pas moins que les investisseurs concernés sollicitent l’Etat marocain et certains autres organismes, comme le Fonds Hassan II, pour des concessions de taille. Ce qui ne manquera pas de donner du fil à retordre au Premier ministre et aux membres de la commission. Ainsi, et selon des sources bien informées, Legler et Settavex ont clairement émis le souhait de bénéficier, à titre exceptionnel, d’une révision à la baisse du coût de l’eau.
Dans le cas de Legler par exemple, et suite aux différentes réunions tenues avec le ministère de l’Intérieur, le distributeur Redal et l’Onep, l’investisseur italien s’est vu proposer une tarification de 6,50 dh/m3 à partir d’un seuil minimal de 850 000 m3 / an alors que la société sollicite l’application de ce tarif à partir d’une consommation de 600 000 m3/an. En d’autres termes, pour accéder à la requête de Legler, le gouvernement devra procéder à la modification du système de tarification de l’eau fixé par décret ministériel, ce qui constituerait un précédent. D’autres opérateurs seraient en droit de revendiquer les mêmes avantages. Des sources gouvernementales ont révélé à la Vie éco que des réunions tenues avec les responsables de Redal pourraient déboucher sur une solution satisfaisante pour tous.
La doléance de l’espagnol Settavex se situe, elle, à un autre niveau, avec un montage assez original. Ainsi Settavex, qui génère de l’électricité sur son site et pour sa propre production, propose de revendre l’excédent non utilisé à l’ONE (Office national de l’électricité), au prix de vente public pratiqué par ce dernier. Dans la foulée, il demande au gouvernement de pouvoir bénéficier de l’exonération totale de la TIC (taxe intérieure sur la consommation) grevant les combustibles utilisés pour la production de l’énergie électrique et d’importer en franchise de tous droits et taxes tous les produits chimiques servant de base pour le fonctionnement de sa centrale d’épuration.
Quant aux responsables de Fruit of The Loom, ils se sont contentés dans leur dossier de solliciter l’Etat marocain pour une subvention d’environ 240 MDH, pour un investissement de 700 MDH.
La question est de savoir jusqu’où le gouvernement pourra aller dans la satisfaction de ces doléances dont certaines ne manqueront pas de poser une véritable «colle» aux membres de la commission sachant qu’ils seront appelés, lors de la réunion du 7 septembre, à statuer de manière définitive sur les réponses à réserver aux requêtes des opérateurs.
Le gouvernement prêt à faire des concessions
Selon des sources gouvernementales, le Premier ministre avait émis, lors d’une précédente réunion de la commission, l’idée de confectionner des packages complets qui seront dorénavant proposés aux gros investisseurs. Ces packages types se présenteraient sous forme d’un ensemble de mesures incitatives concernant, entre autres, le foncier, le financement, la fiscalité locale, les coûts des facteurs de production… L’idée des packages qui, dit-on, tient beaucoup à cœur à Driss Jettou, est certes originale mais reste difficilement réalisable car elle suppose de revoir un certain nombre de dispositions réglementaires, ce qui n’est pas toujours facile à réaliser. Il n’empêche que «l’essentiel, pour le Maroc, est de pouvoir capter ces investisseurs, même si cela doit passer par des modifications de la législation et des textes réglementaires en vigueur», commente un haut responsable gouvernemental. Bien entendu, des concessions, le gouvernement se dit prêt à en accorder sans, toutefois, dépasser certaines limites. On en a eu l’illustration avec le dossier de la Samir qui s’est vu refuser certaines requêtes dont principalement celles qui induisaient des hausses de prix à la pompe.
Décidément, entre le besoin du pays en projets créateurs de richesses et d’emplois, les contraintes socio-économiques et le souci des équilibres budgétaires de l’Etat, l’équation reste des plus difficiles à résoudre, surtout si l’on sait que 2005 sera une année cruciale pour l’économie du pays
Les investisseurs sollicitent l’Etat marocain et certains autres organismes pour des concessions de taille. Pour un haut responsable gouvernemental, «l’essentiel, pour
le Maroc, est de pouvoir capter ces investisseurs, même si cela doit passer par des modifications de la législation et des textes réglementaires en vigueur».
Parmi les dossiers sur lesquels planchera la Commission des investissements le 7 septembre, quatre concernent le secteur textile, deux le secteur cimentier et un les hydrocarbures.