Affaires
Crise ? 227 patrons parlent de l’année 2012
L’année écoulée a été relativement dure. Le commerce a plus souffert que l’industrie/BTP et les autres services. Les entreprises hors Rabat-Casa font preuve d’une belle résistance et voient même leur activité s’améliorer.
Il n’y a pas de doute. En raison des aléas climatiques (voir article) et des cours des matières premières, 2012 sera très difficile, surtout pour l’Etat, obligé de mettre la main à la poche pour aider les agriculteurs et augmenter l’enveloppe consacrée à la subvention de certains produits alimentaires, alors que les finances publiques sont déjà très éprouvées. Les entreprises ne sont pas épargnées. L’enquête sur le moral des patrons réalisée par le cabinet DS Marketing, du 20 au 23 mars, pour le compte de La Vie éco, révèle que la moitié des 227 dirigeants d’entreprise interrogés considèrent que la faiblesse des précipitations aura un impact négatif sur leur activité, avec des effets plus prononcés sur le commerce (65,5% des 58 personnes interrogées) que sur les services (42,20% sur 71) et le groupe Industrie/BTP (46,90% sur 98). Les milieux d’affaires ne sont cependant pas abattus. Bien au contraire. Une bonne partie se montre confiante en ce début d’année. Au moins 55% des 227 sondés pensent que la conjoncture économique actuelle est favorable. Plus précisément, 15% pensent qu’elle est très favorable et 45% plutôt favorable. Tous les secteurs se situent à peu près dans les mêmes proportions. Sur le plan régional, le sentiment d’optimisme est même un peu plus marqué en «province» (57,6% des 85 patrons) que sur l’axe Casablanca-Rabat (55% des 142 patrons).
Ce tableau, somme toute satisfaisant, eu égard aux contingences de l’heure, est corroboré par la dernière enquête qualitative de conjoncture réalisée par Bank Al-Maghrib. Par rapport à janvier, elle fait état de la hausse de la production industrielle en février avec un solde d’opinions favorables en hausse de 12%, d’une progression des ventes et d’un niveau normal des stocks. Dans le même temps, le taux d’utilisation des capacités de production a augmenté d’un point d’un mois à l’autre, à 73%. Les opérateurs anticipent même une évolution favorable de l’activité au cours des trois mois suivants.
Il est vrai qu’ils sortent d’une année assez difficile. D’ailleurs, 54% des chefs d’entreprises interrogés indiquent que leur activité a ralenti en 2011. Ils sont 50% à avoir fait ce constat dans l’industrie/BTP, presque autant dans les services (50,7%) et 65,5% dans le commerce. Les entreprises situées en province (58,8%) et celles de 200 personnes et plus (63,6%) sont les plus touchées. Ce ralentissement a été ressenti par 51,4% des patrons exerçant sur l’axe Casablanca/Rabat, 43,1% de ceux qui dirigent des entreprises de 50 à 199 salariés et 57,7% des moins de 50 personnes. Dans leur écrasante majorité (97,6%), les chefs d’entreprises gênés par un ralentissement en 2011 imputent cette péripétie à la conjoncture économique.
Les petites entreprises sont celles qui ont le plus de mal à s’en sortir
Mais le ralentissement ne signifie pas toujours une baisse du chiffre d’affaires par rapport à 2010. En effet, seulement 29,1% de l’échantillon le déplorent, dont 18,1% parlent d’une variation inférieure à 10% et 11% qui parlent d’une décrue plus prononcée. Pour 28,2% des patrons, les ventes se sont inscrites en stagnation.
Les patrons les plus éprouvés se retrouvent dans le commerce : 41,3% des dirigeants dudit secteur concèdent une contraction du chiffre d’affaires. L’industrie/BTP et les services ont été moins chahutés avec respectivement 26,6% et 20,6% des interrogés qui parlent de baisse.
Ce sont les patrons employant moins de 50 salariés qui manifestent la plus grande difficulté à s’en sortir : 34% des sondés, tous secteurs confondus, alors que moins de 30% des entreprises de 50 salariés et plus sont dans cet état.
Paradoxalement, c’est dans l’axe Casablanca-Rabat où les patrons se plaignent beaucoup plus du fléchissement de leur chiffre d’affaires : 21,8% annoncent une décrue de moins de 10% et 9,2% sont au dessus de cette borne, alors que parmi les «provinciaux», ils ne sont respectivement que 11,8% et 14,1% dans ces situations. Il est évident que les entreprises dont la chute du chiffre d’affaires est la plus lourde sont localisées en province mais la meilleure maîtrise de leur marché et une plus grande proximité avec les clients réduisent, dans l’ensemble, les risques liés à la conjoncture. Preuve en est que 53 % déclarent une activité en hausse. Cette part dépasse nettement la moyenne générale qui est de 42,7%. Autre signe tout aussi révélateur d’une bonne assise régionale, 21,2% des patrons de province déclarent une stagnation contre 32,4% sur l’axe Casablanca/ Rabat et 28,2% sur tout l’échantillon.
Une dégradation des délais de paiement moindre qu’en 2010
Durant cette année 2011 mi-figue mi-raisin, les délais de paiement sont à l’avenant. Sur l’ensemble de l’échantillon, 34,8% annoncent des délais plus longs et 20,7% en raccourcissement, tandis que 44,5% en sont à un niveau identique qu’en 2010. Dans l’ensemble la situation est meilleure qu’en 2010 parce que 53,2% des responsables annonçaient une dégradation.
Pour l’année qui vient de s’achever, la dégradation des délais de paiement est plus nette dans le commerce (41,4%) que dans les services (35,2%) et l’industrie/BTP (30,6%). Les entreprises de moins de 50 personnes, vu leur faible puissance de négociation, sont plus atteintes (45,9%) contre 22,2% de 50 à 199 salariés et 27,3 % de 200. Toujours selon la taille, la proportion des entreprises qui ont profité d’une amélioration des délais de paiement est respectivement de 13,5%, 26,4% et 29,5% ; celles qui ont enregistré un niveau équivalent à 2010 constituent 40,5%, 51,4% et 43,2% des mêmes groupes.
Cette disparité montre la très grande particularité des entreprises, tant du point de vue de la taille que du secteur d’activité que de la localisation. Ainsi, il ressort de l’enquête que les recouvrements se sont beaucoup mieux améliorés en région (24,7%) que sur l’axe Casablanca/Rabat (18,3%). Les facteurs proximité avec les clients et meilleure connaissance du marché de prédilection qui expliquent des ventes plus significatives peuvent aussi être avancés pour expliquer cette situation plus favorable en province, même si la dégradation des délais y est très légèrement plus marquante (35,3%) que dans les deux grands pôles économiques (34,5%).
En dépit des complications conjoncturelles, 71,4% disent avoir recouvré leur facture au bout de 90 jours, soit 16,3% en un mois, 23,8% en deux mois et 31,3% en trois mois. Le reste est payé entre 4 mois (11,9%) et plus de 9 mois (1,3%). Ces chiffres traduisent, on peut le dire, une inflexion significative des mœurs dans ce domaine. Quel que soit le critère considéré (secteur, taille et localisation), plus de 65 % des patrons encaissent leur dû en trois mois au maximum. C’est en province que cette proportion, la plus basse, est constatée. Autrement dit, c’est là où les délais de recouvrement sont les plus longs, d’où une plus grande marge d’amélioration.
Malgré tous les écueils, le marché domestique s’est mieux comporté que l’extérieur. En effet, l’enquête de DS Marketing démontre que 36,2% des entreprises exportatrices (elles sont 58 dans l’échantillon) ont enregistré une régression du volume de leurs exportations. Par secteur, elles sont 50% dans le commerce, 31,3% dans les services et 33,3% dans l’industrie/BTP). Géographiquement, la déprime des marchés étrangers est davantage ressentie en province où 41,2% des entreprises indiquent une décrue contre 34,1% à Casablanca et Rabat.
Des opinions toujours très favorables pour le gouvernement Benkirane
Sans doute, les entreprises devront-elles mettre le paquet sur le marché local pour se relancer ou maintenir un rythme de croissance convenable. En tout cas, les patrons anticipent majoritairement (69,6% d’optimistes) un climat des affaires favorable en 2012. Le même climat prévaut dans tous les secteurs, indépendamment de la taille et de la région. L’illustration de cet optimisme, même si le niveau général est en baisse de 10 points en comparaison avec l’enquête de 2011, est que les carnets de commandes sont supérieurs à leur niveau habituel pour 31,7% de l’échantillon et inchangés pour 49,3%. Mais dans un environnement très versatile, le fait de stabiliser son activité est déjà une performance. Donnée significative qui prouve encore une fois de plus que les villes de province opposent une belle résistance à la crise, 40% des patrons prévoient une amélioration des carnets de commandes par rapport à 2011 contre 26,8% pour Casablanca et Rabat. Seulement 16,5% jugent qu’ils sont moins garnis contre 20,4% dans ces deux villes.
L’évolution du chiffre d’affaires est à l’avenant. Au moins 21,6% de l’ensemble des patrons s’attendent à une forte hausse, 33,5% à une légère augmentation et 25,6% à une stagnation. La courbe de cet indicateur épouse quasiment celle des carnets de commandes. Selon les patrons, la bonne tenue des affaires est dû au raffermissement de la demande (35,2%), à l’atténuation de la crise internationale (31,2%), à une meilleure performance des indicateurs internes (organisation plus performante) de l’entreprise (27,2%), à la disparition ou la réduction de la concurrence dans leur secteur (9,6%). L’accord de libre-échange avec l’Union européenne est évoqué par 8% des sondés. Idem pour les actions programmées par le gouvernement.
D’ailleurs, la lune de miel entamée avec l’équipe d’Abdellilah Benkirane perdure visiblement : 81,4% des patrons lui accordent leur confiance sur les mesures prises ou à venir avec 43,2 % tout à fait confiants et 38,8% plutôt confiants.
L’impact de ces mesures sur l’activité de leurs entreprises est moins décisif (71,8% d’opinions favorables), mais reste quand même élevé. Cet optimisme est bien partagé par la plupart des patrons qui estiment même, à hauteur de 80,6%, que le gouvernement actuel fera mieux que le précédent. Seulement 2,6% ont un avis tout à fait défavorable et 12,8% s’attendent à un comportement identique.
Cette confiance dans le gouvernement, qui n’est surtout pas un blanc-seing des entreprises pour tout type de décision, est de nature à encourager les initiatives, particulièrement en matière d’investissement et, au delà, constitue un moteur de croissance. Pour faire tourner davantage la machine, il faudra aussi que la situation internationale s’améliore. Et à ce niveau, les patrons sont partagés : 48,5% espèrent une sortie de crise d’ici la fin de l’année et 45,8% expriment un avis contraire. En province, la majorité (51,8%) considère que la crise va persister. Comme il est presque impossible de maîtriser les facteurs exogènes, il faudra donc faire avec.