Affaires
Création d’entreprises, ce sera bientôt plus facile
Un comité national d’appui
à la création d’entreprises a vu le jour le 1er mars.
Une batterie de mesures prévues pour le mois de juin pour lever les principaux freins
à la création.
Entre autres mesures, la baisse du capital minimum, des locaux professionnels clés en main et un identifiant unique.

On est en juin 1999. Ahmed Lahlimi, alors ministre des Affaires générales du gouvernement, dévoile à l’opinion publique son livre blanc de la PME. Le document, plus d’une centaine de pages, comporte, outre l’état des lieux, de nombreuses recommandations et des mesures prioritaires qui devraient permettre au Maroc, à l’horizon 2010, d’avoir 120 000 PME en plus. Las, Lahlimi quittera le département avec le départ du gouvernement Youssoufi. L’essentiel de son livre blanc, travail scientifique de qualité, selon de nombreux responsables au sein de l’administration, restera malheureusement dans les tiroirs.
Aujourd’hui, presque six ans après, l’appui aux PME et à la création d’entreprises au Maroc est un ratage. Personne n’en doute. Hormis la création de l’ANPME (Agence nationale pour la promotion de la PME) et des CRI (Centres régionaux d’investissement), la plupart des mesures contenues dans le livre blanc n’ont pas été mises en œuvre. D’autres ont échoué. Le cas le plus flagrant est celui des fameuses Maisons de la jeune entreprise qui ont fait long feu.
Mais, en ce début 2005, la question revient au-devant de la scène. Le gouvernement semble décidé à en découdre et la démarche est différente. Ainsi, dans la discrétion la plus totale, un comité national d’appui à la création d’entreprises a vu le jour le 1er mars (voir encadré en p.12) pour réfléchir sur une stratégie nationale en la matière.
«Il ne s’agit pas de réinventer la roue mais plutôt de rendre opérationnelles des mesures, de capitaliser sur certains outils et d’apporter des solutions concrètes aux problèmes réels que vivent les entrepreneurs», explique Rachid Talbi Alami, ministre des Affaires économiques et générales, qui pilote l’opération. C’est d’ailleurs lui qui avait convié le 16 février dernier les représentants des différents administrations et organismes privés pour une première réunion. Objectif : proposer des pistes qui permettront de mettre en œuvre des mesures concrètes dès le mois de juin.
Des mesures concrètes ? Il faut d’abord répertorier les problèmes. Un travail pratiquement réalisé dans la mesure où, comme l’explique Hammad Kessal, président de la Fédération des PME/PMI, «nous savons tous pourquoi la création d’entreprises ne marche pas au Maroc». A son avis, «il y a eu trop de paroles et peu d’actions ; les jeunes entrepreneurs, eux, attendent un changement de discours et plus d’efficacité» . Le ton est donné. Pour ne pas perdre de temps, les membres du comité sont entrés dans le vif du sujet. Ainsi, quinze jours après la première réunion, une seconde, tenue le 1er mars, a permis de décortiquer une matrice de travail proposée par Rachid Talbi Alami. Très simple dans sa conception, elle regroupe d’un côté les freins et l’état des lieux, de l’autre, les actions à mettre en œuvre d’urgence. Le tout articulé en quatre grands axes.
Premier objectif : abaisser le capital minimum, fixé actuellement à 100000 DH
Dans le premier axe, intitulé «Environnement général de la création d’entreprises», sept mesures ont été retenues. La première concerne le capital minimum exigé pour la création d’une SARL, forme juridique la plus prisée par les jeunes entrepreneurs, fixé aujourd’hui à 100 000 DH. A l’unanimité, ce niveau élevé de capital est reconnu comme étant un des grands freins à la création. Premièrement, parce que beaucoup de jeunes ne disposent pas de ce montant et sont obligés de faire des acrobaties pour bloquer le montant dans un compte bancaire. «Et de toutes les manières, ces 100 000 DH sont vite consommés dès qu’il s’agit d’acheter un pas-de-porte», renchérit le ministre des Affaires économiques. Dans certains secteurs d’activité, comme les NTIC, l’artisanat ou les services, l’entrepreneur n’a pas besoin réellement de 100 000 DH pour démarrer son activité. Le principe étant admis, les membres du comité ont décidé de soumettre sans trop tarder un amendement de l’article 46 de la loi 5-96 fixant le capital minimum d’une SARL. Le nouveau montant sera défini lors des prochaines réunions du comité.
L’autre grand frein à la création, tel qu’il se dégage de la matrice, concerne les locaux et infrastructures d’accueil. Une entreprise qui se crée aujourd’hui doit dépenser une grande partie de son capital de démarrage dans l’achat ou la location de locaux et les fonds censés être injectés dans la production se trouvent engloutis dans des pas-de-porte ou immobilisés dans des terrains et des murs, alors que l’activité n’a toujours pas démarré. Pour y remédier, le comité retient plusieurs pistes. La première est de permettre aux jeunes entrepreneurs de domicilier leurs entreprises dans des structures comme les chambres de commerce et d’industrie ou encore les pépinières d’entreprises. Ces pépinières existent déjà au Maroc, mais «ce ne sont pas des pépinières d’entreprises au vrai sens du mot», corrige M. Talbi Alami pour qui «une vraie pépinière d’entreprises ne se limite pas au seul hébergement de l’entreprise mais à l’accompagnement et au suivi de l’entrepreneur».
Unifier les procédures de création sur tout le territoire
Pour ceux qui optent pour d’autres solutions, le comité retient comme autre mesure la construction de locaux professionnels et industriels clés en main pour éviter aux jeunes investisseurs toutes les tracasseries administratives : processus d’achat de terrain compliqué, obtention de permis de construire difficile… Mais pour ce faire, il faut d’abord que des promoteurs immobiliers acceptent de se lancer dans ce créneau. «S’il faut accorder des avantages à ceux qui veulent s’y investir, nous le ferons», promet M. Talbi Alami.
Dans un autre chapitre, la plate-forme de travail du comité s’attaque à un serpent de mer : les procédures administratives. Tout en relevant que celles-ci ont été considérablement assouplies et facilitées depuis la création des CRI, le comité insiste sur la nécessité d’harmoniser les procédures de manière à ce que toute la création d’entreprise suive exactement le même cheminement indépendamment de la région. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Pour M. Kessal, «l’harmonisation des procédures est le meilleur moyen d’endiguer les abus de pouvoir dont peuvent être victimes les porteurs de projets». Pour y parvenir, le comité retient l’idée de confectionner un manuel unique de procédures de création. Dans le même volet, tout un chapitre est consacré à la disponibilité et à la fiabilité des informations sur l’entreprise, aujourd’hui éparpillées entre les différents producteurs de chiffres, ou incomplètes, ou carrément inexistantes. Un exemple : aussi élémentaire qu’elle puisse paraître, aucune information statistique n’est aujourd’hui disponible sur la création, l’évolution et la mortalité des entreprises au Maroc. Rappelons à cet égard qu’en 1996, l’USAID avait lancé le projet de création d’un observatoire de la PME, qui a échoué du fait du manque de coopération des différentes administrations concernées.
Pour Hammad Kessal, «les statistiques fournies par les CRI sont un fourre-tout qui renseigne sur les créations alors qu’il n’y a pas de suivi». Entre autres solutions proposées par le comité: l’identifiant unique de l’entreprise, qui permettrait de suivre à la trace une entreprise depuis sa naissance jusqu’à sa disparition. Certains membres du comité proposent quant à eux que toutes les créations d’entreprises, sans exception, passent dorénavant par les CRI pour que l’information y soit centralisée. Aujourd’hui, seulement 25 % des créations en moyenne transitent par ces organismes. Le reste suit toujours le cheminement classique. Par ailleurs, la mise en veilleuse des commissions régionales de l’investissement prive les CRI d’une source d’information de taille pour le suivi (voir article page 15). L’activation de ces commissions et le renforcement de leur rôle est tributaire de la publication d’un décret du premier ministre.
Le second volet de la matrice, lui, est consacré aux structures d’appui et d’accompagnement des entreprises, encore à la traîne. Les membres du comité relèvent une situation paradoxale avec, d’un côté, une multitude de structures comme les CRI, les chambres de commerce, les délégations du ministère du Commerce et, d’un autre, des promoteurs qui ne trouvent pas d’écoute. A l’origine, un problème de formation et d’implication du personnel ou de partage d’expériences. Pour y remédier, le comité envisage de commencer par former le personnel de ces structures et de mettre en réseau les différents intervenants.
Des modules seront introduits dès le primaire pour développer l’esprit d’entreprise
Mais évoquer le problème des structures d’appui à la PME renvoie forcément à une question : quid de l’ANPME? L’agence a été détournée d’une de ses missions principales qui est l’appui aux PME et s’est focalisée sur la mise à niveau. Il est temps que l’ANPME joue son vrai rôle.
Avec tout cela, il subsiste un problème de taille. Ce que le président de la Fédération des PME résume en deux mots : «Nos jeunes ont de moins en moins l’esprit entreprenarial». Pour faire aimer aux jeunes la création d’entreprises, une seule solution : l’introduire dans le cursus scolaire dès le primaire, jusqu’au supérieur, d’autant plus que comme le note l’étude, «l’éducation et l’enseignement au Maroc restent essentiellement axés sur le salariat». Des modules d’enseignement seront donc introduits pour stimuler l’esprit d’entreprise et d’autres pour démystifier le monde de l’entreprise et du management (qu’en pense le ministre de l’Education nationale ?). Les adultes ne seront pas délaissés puisque des formations spécifiques aideront les salariés à se reconvertir dans la création d’entreprises.
Enfin, l’étude ne pouvait pas faire l’impasse sur le financement. La question ayant été débattue à plusieurs reprises, les membres du comité ont préféré dépasser les griefs habituels en proposant des solutions originales, comme la création d’un fonds spécial pour la création d’entreprise, décliné en fonds régionaux. La clé de voûte reste la collaboration active des banques.
«Si la volonté politique y est tout est possible», lance Hammad Kessal qui rejoint par son optimisme le président du comité. Pour la prochaine réunion, prévue avant fin mars, les membres du CNACE se mettront d’accord sur les actions prioritaires, définiront les modalités pratiques de leur mise en œuvre rapide et désigneront, pour chaque mesure, le département en charge de son application. Il reste à espérer que ce travail ne restera pas, cette fois-ci, dans les tiroirs.
Certains membres du comité d’appui à la création d’entreprises suggèrent que, désormais, toutes les créations passent par les CRI (25 % actuellement) et que l’information y soit centralisée.
