Affaires
Centrale des risques : les sociétés de crédit s’en méfient, le projet piétine
Les banques n’ont pas encore transmis leurs fichiers clients à Bank Al Maghrib
Les professionnels redoutent l’utilisation des informations à des fins anti-concurrentielles et la violation du secret bancaire.
Manifestement, la centrale des risques de Bank Al Maghrib (BAM), qui devait déjà être opérationnelle en mars dernier, a du mal à se mettre en place. Si les différentes parties prenantes (banques, sociétés de financement, associations de microcrédit, BAM et Experian Maroc) se sont mises d’accord sur le principe, plusieurs questions relatives à l’exploitation de ce système et à l’importance des données transmises à Experian Maroc, le prestataire de service, restent en suspens. D’ailleurs, BAM a multiplié les réunions, ces dernières semaines, avec l’Association professionnelle des sociétés de financement (APSF) et le Groupement professionnel des banques du Maroc (GPBM) pour convaincre les hésitants. «Les banques n’ont pas encore transmis toutes les données clients à BAM alors que les sociétés de financement ont d’ores et déjà terminé cette phase parce que leurs données clients sont beaucoup moins complexes», précise une source à BAM.
Rappelons que les établissements bancaires avaient déjà émis quelques réserves sur le système adopté par BAM. En effet, le principe de fonctionnement du crédit bureau oblige les établissements de crédit à fournir une multitude d’informations concernant leurs clients à BAM qui la met à la disposition de la centrale d’information.
Après la fusion des données clients de toutes les banques et sociétés de financement dans un fichier unique, cette centrale, qui sera gérée par une société privée, Experian Maroc en l’occurrence, proposera une base de données aux usagers (banques et sociétés de crédit) qui pourront avoir une visibilité complète sur la situation de leurs clients ou prospects. Et c’est justement ce qui dérange le plus les banques puisque si Bank Al Maghrib est légalement en droit d’avoir accès aux données, le transfert des données clients à une société privée, qui fournirait l’accès à la consultation, quand bien même la société serait délégataire de Bank Al Maghrib, est considéré par les banques comme étant une violation du secret bancaire au sens de l’article 79 de la loi bancaire.
Des réserves sur le respect du secret bancaire
Outre cette problématique à laquelle aucune solution ne semble encore avoir été trouvée, les établissements bancaires redoutent également une utilisation commerciale de ce système.
Une crainte partagée par les sociétés de financement qui sont pourtant plus avancées dans le processus que les banques puisqu’elles ont déjà eu une phase de préparation entamée début 2008. «Cette phase concernait l’extraction des informations à remettre à BAM. Il s’agit d’un travail très technique consistant à remettre des déclarations mensuelles comportant des données sur nos clients à BAM qui les centralise au niveau du crédit bureau. Et sur ce point, les sociétés de financement sont plus ou moins à niveau», souligne Aziz Cherkaoui, Dg de Salafin et président de la commission crédit immobilier et crédit à la consommation au niveau de l’APSF. Cette phase étant maintenant achevée, les sociétés se sont attaqué à l’exploitation pratique du crédit-bureau et à son contenu. «Nous avons eu d’autres réunions auxquelles ont assisté les juristes des sociétés de financement et ceux de BAM pour discuter du contenu du crédit-bureau et de l’utilisation qui en sera faite», ajoute M.Cherkaoui qui souligne, au passage, que les sociétés de financement ont bien besoin de ce système.
«A Salafin, par exemple, nous l’avions réclamé depuis 1998 parce qu’il peut prévenir le risque client de manière significative», explique-t-il. Pour illustrer ses propos, M.Cherkaoui cite l’exemple du système d’aide à l’appréciation du risque (SAAR) adopté par les sociétés de financement, il y a quelques années. «Depuis le lancement du SARR, nous avons réduit considérablement les risques liés aux crédits et les créances en souffrance ont été nettement impactées», indique-t-il. Signalons à cet effet que le crédit bureau est plus développé et plus global que le SARR puisqu’il touche tout le système financier.
Il s’agit d’informations relatives au niveau d’endettement des clients, particuliers ou entreprises. Ce qui englobe aussi bien les impayés que les engagements. «Toutes ces informations sont nécessaires pour éditer un rapport de solvabilité concernant un client qui se présente à sa banque pour solliciter un crédit», souligne M.Cherkaoui.
Mais au-delà de l’importance de ce système, les représentants de sociétés de financement n’ont pas hésité à évoquer, eux aussi, quelques problèmes potentiels. «Nous avons dès le départ attiré l’attention de l’autorité de régulation sur les dérives qui ont déjà été observées dans d’autres pays», confie un membre de l’Apsf. «C’est justement ce qui s’est passé en Belgique par exemple lorsque, ayant eu accès aux données clients, certaines sociétés de financement n’ont pas hésité à démarcher les clients des concurrents pour leur proposer soit des rachats de crédits, soit des crédits à de meilleurs taux», précise-t-il. Face à ces remarques, les responsables de BAM assurent que toutes les dispositions de sécurité ont été prises pour empêcher toute utilisation non conforme aux objectifs du crédit bureau. «Experian Maroc a mis en place une série de mesures et d’indicateurs qui permettent de savoir qui consulte la base de données et ce qui a été fait des informations collectées. Autrement dit, si un agent consulte la centrale des risques et réclame un rapport de solvabilité sans prouver que c’est dans le cadre d’une procédure d’octroi de crédit à un client, il peut se voir refuser le rapport de solvabilité ou même s’exposer à une enquête de BAM», rassure un responsable à la banque centrale.
Ces explications semblent avoir convaincu les sociétés de financement mais pas les banques. Mais les deux professions n’ont pas encore signé les conventions d’exploitation spécifiques avec Experian Maroc, délégataire chargé de gérer le système. Lesquelles conventions permettront de réglementer tous les services et définir les responsabilités de chaque partie.