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Carrière

Préparation de la relève à l’ère du digital

La préparation de la relève est un véritable défi pour bon nombre d’entreprises et rares sont celles qui disposent de la compétence de gérer volontairement et consciemment leur relève. Dans le secteur IT, les profils sont tellement difficiles à retenir qu’il est presque impossible de prétendre une préparation de la relève.

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Taha Drhorhi

Taha Drhorhi

A l’ère de la transformation digitale des organisations, le problème de la gestion et préparation de la relève se fait sentir plus que jamais. Il suffit de consulter les données statistiques et démographiques produites par le ministères des finances et celui de l’industrie et l’économie numérique pour tout comprendre. Le défi d’avoir une relève prête à tout moment est un avantage concurrentiel de taille. La planification de la relève aide les organisations, d’une part, à repérer, développer et retenir les talents et hauts potentiels, et, d’autre part, à réaliser leurs objectifs stratégiques. Concrètement, préparer la relève passe par plusieurs étapes dont les plus importantes sont l’identification des fonctions critiques, et leur éventuelle évolution (phase préliminaire liée à la GPEC), l’élaboration du «vivier» de candidats à hauts potentiels pour la continuité de ces dites fonctions (jusqu’au 3e niveau), les plans de successions de masse, le programme développement et qualification de la relève (formation, mentoring, coaching, transfert de compétence entre le cédant et le prétendant).

Au Maroc, l’état des lieux montre que le processus de la préparation de la relève est géré différemment, selon la sphère publique ou privée.

Les professionnels de la fonction RH savent, beaucoup plus que d’autres, que la faisabilité de la mise en place des plans de successions concerne uniquement les postes clés. Le DRH reste parfaitement conscient de la difficulté de l’étendue de cette démarche pour toucher la masse, qui demeure généralement une opération de remplacement pur et dur, pour assurer la continuité des activités. Cette démarche est de plus en plus compliquée à l’ère de la transformation digitale, car son outil de base, qui n’est autre que la GPEC, est amené à changer constamment dans certains métiers comme celui des «IT».

Faut-il rappeler que rares sont les entreprises qui disposent de la compétence de gérer volontairement et consciemment leur relève, encore moins la volonté d’y consacrer le budget suffisant, et de respecter les résultats convenus, notamment dans l’ère de l’intelligence artificielle et du machine learning.
Sans vouloir généraliser, l’approche de gestion de la relève au sein des administrations publiques marocaines est souvent dure à mener, vu, d’une part, le changement et le poids de leur identité et appartenance idéologique, et, d’autre part, les contraintes de leur bureaucratie souvent réputée rigide et lente. Au public, on entend par la gestion de relève, le remplacement du personnel arrivé à la fin de carrières (retraite, démission, licenciement, décès, …). À titre d’exemple, lorsqu’une institution publique cherche à remplacer le départ d’un sénior ayant une expérience de 30 ans occupant une fonction de cadre ou de responsable, elle opère, soit à une reconversion d’un autre cadre, ayant le même seuil d’ancienneté «et non d’expertise» et dont les compétences n’ont généralement rien à voir avec le poste à pourvoir, soit aux concours de recrutement «des sortis d’écoles ou d’universités», soit par le biais des appels à candidature afin d’attirer des profils du secteur privé, qui généralement sont réticents (vu les freins liés au système de rémunération et gestion de carrière opaques et dépassés).

Certaines administrations publiques se limitent à la «gestion des actes administratifs», très loin «des talents solution»

Le rapport produit en 2017 par la Cour des comptes sur le système de la fonction publique peut être considéré comme un document de référence de l’état de la fonction RH au sein de l’administration marocaine… tout a été dit. Il ne manque plus que le passage à l’action, en mandatant/recrutant des experts RH (et non des généralistes, bureaucrates ou de nouveaux reconvertis), afin de réinventer et moderniser cette fonction sensible, selon les dernières avancées en la matière. Ce même rapport évoque que les SIRH des administrations publiques «se limitent à la gestion des actes administratifs», très loin «des talents solution». D’ailleurs, la majorité des départements ministériels accusent un retard en matière d’équipement en solution de reporting et d’aide à la décision, toujours selon le rapport de la Cour des comptes. Comme quoi la digitalisation devra encore patienter… et la relève aussi. Ceci dit, il existe quelques administrations publiques (BAM, OCP, CDG, …) qui ont entamé un travail de fond sur la mise en place de laboratoires/départements, afin d’accompagner la transformation digitale de leurs métiers. Ces mêmes institutions sont aujourd’hui dans une phase avancée de la préparation de la relève de leurs postes critiques. Encore faut-il se débarrasser des agissements qui faussent éventuellement les règles de l’art (relève et promotion de convenance à la hiérarchie (syndrome du poulain), des plans de successions formalisées mais non appliqués, reproduction de profils «stéréotypes aux générations antérieurs, qui épousent la même culture et les mêmes postures administratives stériles et révolues», …).

Concernant les hautes fonctions du secteur public, le débat n’a même pas lieu d’être… le secret est bien gardé !

Maintenant, lorsque nous observons la performance et la compétence de patron public comme le gouverneur de la Banque centrale, Abdellatif Jouahri, ou encore le PDG de l’Office chérifien des phosphates (OCP), Mustapha Terrab, nous nous posons très vite la question de leur relève, difficile à prédire, très compliqué à préparer !

Dans le secteur privé marocain, nous distinguons entre la GRH made in Morocco et celle délocalisée par les maisons mères des multinationales installées au Maroc, à travers des procédures figées prêtes à être appliquées, souvent sans aucune considération de la culture locale. Parler relève pour la première catégorie d’un exercice qui s’avère très délicat, notamment en présence de patrons d’entreprises qui ne jurent que par la performance (réalisations du chiffre), la stabilité administrative (rémunération, …) et la paix sociale (pas de grève, continuité de l’activité…). Devant une telle situation le DRH ne peut s’aventurer dans un exercice jugé marginal jusqu’à preuve du contraire. Évidemment, nous excluons de ce qui précède les petites entreprises, qui dans leur majorité ne disposent toujours pas de service RH. Les multinationales quant à elles ont une vision de globalisation sur ce sujet. Certes, pour certaines, les plans de successions sont établis, mais les fonctions sensibles de gouvernance (DG, PDG) ne sont généralement pas sujet de discussion de ces dits plans. Lorsque le PDG ou le DG de la filiale marocaine «saute», son remplaçant n’est que rarement connu par le DRH Maroc. Cette logique est aussi valable pour les fonctions sensibles des cadres chargés du pilotage «pas nécessairement ayant le statut de directeur»… leurs suppléants n’ont aucune trace au niveau des bassins de relèves préétablis.

Ainsi, l’entreprise qui néglige cet aspect peut se retrouver démunie face à un changement subit de ses effectifs et ou des spécificités (entre autres technologiques) de son cœur métier. Sans citer de nom, un grand organisme financier a été pris «en otage» après le départ inopiné de son «compliance officier», qualifiée de «job en or» par une étude Robert Half, une fonction en pénurie, pour l’ensemble du secteur financier… Cet organisme n’a réussi à embaucher de remplaçant que 6 mois après, en payant 4 fois le salaire à un «compliance officier» indépendant… la rareté et la non-préparation de la relève ont un prix ! Plus rares encore, les profils IT, difficiles même à trouver pour prétendre à leur préparer une relève. Il est plus question de les fidéliser et savoir maintenir leur seuil de motivation à des niveaux très élevés, surtout avec les sessions de recrutements massifs menées par des SSII, déterminés à importer ces profils au-delà des frontières, là où les conditions et chances d’évolution sont réputées meilleures.

Contrairement, il arrive trop souvent que la relève soit nommée rapidement et que l’on s’aperçoit par la suite qu’on a raté le «cast», causant ainsi des dégâts pouvant même affecter la notoriété et la compétitivité de l’organisation. Dans cette éventualité, il faut questionner la compétence des directeurs métiers fortement impliqués, à jauger et développer les qualités nécessaires des successeurs en termes de compétence, potentiel, et d’engagement. Force est de constater le cas échéant que ce talent sera «brûlé», et qu’il y a des «mentors internes» qui font plus de mal que de bien.

Que celui qui néglige la préparation de la relève se méfie !

Les entreprises du secteur privé ne seront jamais à l’abri des aléas qui peuvent surgir d’une telle négligence, leur productivité d’un côté et la viabilité de l’autre. Elles doivent plus que jamais œuvrer sur l’adaptation à la transformation digitale des postes de travail et des métiers, la constitution du portefeuille des potentiels (BCG) et l’inclusion de la culture locale (pour les multinationales). Idem pour l’administration publique marocaine qui pourrait courir des risques énormes, dont le plus dangereux reste la qualité du service rendu aux citoyens et aux investisseurs, notamment étrangers. L’instauration d’une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences publiques s’avère un chantier prioritaire pour le ministère de la modernisation de la fonction publique, sans négliger le choix d’un DRH charismatique, compétent, avec une grande fibre digitale, capable d’instaurer et de mettre en œuvre une stratégie d’attraction, rétention et développement des talents et hauts potentiels. Rien ne doit être laissé au hasard… l’image du Maroc est en jeu !

Enfin, la fonction RH ne doit plus être reléguée au second plan, surtout qu’aujourd’hui, des entreprises matérialisent leur capital humain au niveau de leur bilan comptable !

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