Carrière
Mon patron est une femme…
De plus en plus de femmes occupent une place dans la haute hiérarchie des entreprises, mais les a priori perdurent.
Elles se montrent plus exigeantes pour éviter tout risque d’échec.
Le respect est davantage réclamé à la femme manager qu’à l’homme.

Dans le public comme dans le privé, on la voit de plus en plus à des postes à responsabilités. La femmemarocaine, car c’est d’elle qu’il s’agit, est aujourd’hui chef de service, chef de division ou siège dans les comités de direction. Celles qui ont réussi à briser le plafond de verre se sont retrouvées DG ou PDG, et pas seulement parce qu’elles étaient héritières. D’autres se sont mises à leur compte et ont réussi à monter des affaires florissantes. L’Association des femmes chefs d’entreprises (Afem) est une vitrine de cette catégorie en émergence. Mais, dans un pays ou le taux de féminisation de la population active est d’environ 30%, on est encore loin de la parité – proportionnellement – dans le top management des entreprises. Le gros de l’effectif des femmes en activité est cantonné dans des tâches subalternes. Du coup, pour des collaborateurs (hommes ou femmes), il peut effectivement y avoir des effets (un changement de comportement ou dans la nature de la relation) s’ils ont été habitués à être dirigés par un homme.
«Cela m’est égal»,assure Mourad K., consultant dans un grand cabinet de conseil en organisation qui a vécu les deux expériences. «Que mon patron soit homme ou femme, j’ai toujours eu la même attitude. Mes relations avec mes supérieurs restent professionnelles. Je n’ai jamais éprouvé un sentiment de rejet vis à-vis d’un patron femme et j’accepterais d’éventuelles remarques sévères sur mon travail si elles sont motivées.En ce qui me concerne, je n’ai pas observé de traitement différencié de la part de mon Mon patron est une femme…De plus en plus de femmes occupent une place dans la haute hiérarchie des entreprises, mais les a priori perdurent. Elles se montrent plus exigeantes pour éviter tout risque d’échec. Le respect est davantage réclamé à la femme manager qu’à l’homme. patron femme par rapport à mes consoeurs». Mounia N., assistante de direction dans une entreprise familiale, est à peu près du même avis : «Ma patronne est beaucoup moins âgée que moi, mais jamais jeme suis sentiemal à l’aise.Il est vrai que j’essaie toujours de m’appliquer et de respecter ses consignes pour éviter de donner l’impression que je fais de la résistance. L’essentiel pour moi est qu’il y ait du respect des deux côtés».
Ce n’est pas toujours facile entre femmes
Respect, c’est le mot qui revient souvent dans les commentaires. En effet, dans une société qui reste largement sexiste, pour ne pas dire misogyne, les collaborateurs supportent mieux, ou tolèrent davantage les sautes d’humeur d’un directeur que celles d’une directrice.Ce comportement est largement partagé par les deux sexes. L’explication de cette attitude de défiance visà- vis des patrons femmes relève surtout de la sociologie. «Pour des raisons sociales et culturelles, on croit que la masculinité donne des droits : les collaborateurs hommes ont le sentiment que,“légitimement”, le pouvoir leur revient. Pour les collaboratrices, le sentiment de rejet s’explique par un ressenti d’échec (pourquoi elle et pas moi)» , explique Ahmed Al Motamassik, sociologue.
Effectivement, entre femmes, ce n’est pas toujours aussi facile qu’on pourrait le penser. «Elle fait tout pour me montrer qu’elle est montée d’un cran,alors que nous étions très complices quand nous avons été embauchées », se plaint une commerciale qui s’est retrouvée sous l’autorité d’une ancienne colcarrières lègue dans une agence bancaire. Si les femmes ressentent une certaine souffrance dans le silence (avec un manager homme ou femme), il en va autrement des hommes, à plus forte raison quand ils ont une «patronne», et ce pour des raisons d’amour-propre. «J’en ai bavé. Je n’acceptais plus d’être contredit à tout bout de champ et elle (la directrice financière) voulaitme faire porter le chapeau à chaque couac. J’ai profité de la première bonne offre pour déposer ma démission», confie un jeune comptable. Difficile de généraliser,mais ces situations ne sont pas rares. Cela signifie-t-il que la femme a un style de management propre ?A en croire Abdellah El Jout, expert dans le domaine de la formation et des RH auprès de l’Union européenne, «la particularité réside essentiellement dans les valeurs, notamment le rapport au monde et aux autres. Chez les femmes, celui-ci passe davantage par la négociation, le sens de l’équité et la recherche d’un compromis durable».
Selon Ahmed Al Motamassik, dans les grands principes, il n’y a pas de différence. Mais il parle de «style propre à la femme». Il part du constat que la femme patron sait qu’elle est «sous surveillance ». Dès lors, elle devient plus exigeante vis-à-vis d’elle-même et de ses collaborateurs (hommes et femmes) et se montre très stricte sur les exigences de travail et le rendement. En somme, elle demande toujours plus pour éviter tout échec.
A ce propos, il est intéressant de souligner qu’une étude réalisée par Catalyst, une organisation non gouvernementale (ONG) américaine, auprès de 353 sociétés parmi les 500 les plus importantes aumonde,montre que «les entreprises ayant le plus fort taux de femmes dirigeantes ont de meilleures performances financières que celles qui comptent proportionnellement moins de femmes dans leurs organes de direction ». Pour expliquer ce phénomène, certains observateurs ou experts en ressources humaines mettent en avant les valeurs dites féminines comme la solidarité, la complémentarité, l’équilibre, l’empathie…, bref, la capacité à travailler en réseau. «Il est vrai qu’il y a de tout cela.Parfois, je me sens comme unemaman avec mes collaborateurs,mais c’est la compétence qui compte avant tout», explique cette femme, haut cadre dans le privé.A son avis, il y a encore, dans la société marocaine comme ailleurs, des a priori vis-à-vis de la femme.
Probité, goût de l’effort, équité et sens de l’écoute sont des valeurs asexuées
Mais, quand on se montre à la hauteur de sa mission, la légitimité est gagnée, précise-t-elle en substance. C’est également la compétence que met en exergue Yasmina Chbani, directrice de Dale Carnegie Maroc, qui rejette l’idée d’un mode de management propre à la femme. Abdellah El Jout ne dit pas autre chose en conseillant d’«être compétente,de ne pas vouloir être une photocopie des hommes et de créer son propre modèle en fonction de sa personnalité et du contexte d’action».
Au vu de ces explications, on peut considérer que le rejet dont peut faire l’objet une femme patron, ou «déni du poste », comme le qualifieAhmed AlMotamassik, ne peut provenir que d’un comportement personnel répréhensible. En effet, souligne un consultant en RH, «les valeurs cardinales que sont probité, goût de l’effort, équité et sens de l’écoute sont asexuées. Il revient à tout manager, quel que soit son genre,de s’en approprier pour se faire accepter des collaborateurs».
