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Carrière

Les dirigeants sont des obsessionnels, les salariés des hystériques les salariés des hystériques

Beaucoup d’études montrent qu’entre dirigeants et salariés les divergences deviennent plus profondes

La direction générale prône des valeurs de transparence,
d’esprit d’équipe et d’intégrité, mais
ne montre pas souvent l’exemple

Le salarié se sent reconnu si ses
initiatives spécifiques sont prises en considération.

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gérard pavy Consultant international

De multiples sondages convergent pour souligner un fossé croissant entre les cadres, et, plus largement, les salariés, et le management de l’entreprise. Le problème n’est pas spécifique à  l’Hexagone. Selon une récente étude de Towers Perrin, conduite dans les principaux pays européens, 65 % des employés disent ne s’engager que modérément dans leur entreprise.
Dont acte. Ce problème est-il conjoncturel ou structurel ? Nombreux sont ceux qui y voient la marque d’un déclin récent des valeurs de l’effort, dont les 35 heures constitueraient l’emblématique traduction. Ont-ils raison ? Ce qui doit alerter l’attention, c’est la répétition du phénomène. Le retour régulier du symptôme signifie que les solutions précédentes sont en échec et donc que le diagnostic est erroné. Or, nous avons affaire, ici, à  un problème répétitif. Quiconque se plonge dans l’analyse de sondages réalisés, il y a dix ans et plus, sera frappé par la similitude des résultats. Exit donc l’explication par une chute de la valeur travail.
L’opposition entre deux cultures, l’obsession et l’hystérie, est la clé de cette répétition. Rappelons, pour faire court, que l’obsession vise la maà®trise par l’ordre, et l’hystérie, la maà®trise par le désordre. En s’opposant, ces deux attitudes se renforcent mutuellement et soutiennent un mécanisme répétitif. Les dirigeants se comportent plutôt comme des obsessionnels, les cadres et salariés plutôt comme des hystériques.

Toute entreprise est composée d’une collection d’unités élémentaires de taille diverse
D’un côté, le dirigeant n’est pas incité à  écouter. Ce n’est pas qu’il soit hautain ou fermé. Mais, si, d’aventure, il se met à  écouter, il recueille les demandes des collaborateurs, la litanie des dysfonctionnements rencontrés, la critique des systèmes existants ou des décisions prises et toutes les bonnes raisons pour lesquelles il ne sera pas possible d’atteindre l’objectif annoncé. Pointer une faille dans le plan de travail arrêté, c’est mettre en question celui qui a élaboré la solution, le dirigeant. Ce dernier recourt aux mécanismes de défense de l’obsessionnel : tout est sous contrôle, tout va bien et les problèmes n’existent pas.

De leur côté, le cadre et le salarié attendent d’être reconnus. Pour assurer la satisfaction du client, l’employé fait preuve d’imagination pour pallier une pièce manquante, une panne ou une erreur de communication. Il se sent reconnu si ses initiatives spécifiques sont prises en considération. Une sorte de jeu de massacre est à  l’Å“uvre: la reconnaissance du cadre et du salarié passe par les défaillances des processus mis en place. La démarche des cadres et salariés s’apparente bien à  la logique hystérique qui puise sa force dans les failles du système.

La scène est ainsi posée avec son scénario principal. D’autres facteurs renforcent la répétition du mécanisme et confèrent à  la dynamique l’apparence de la fatalité.
Toute entreprise est par exemple composée d’une collection d’unités élémentaires, de tailles diverses : service, département, établissement, division. Le propre d’une unité élémentaire est de dépendre de ressources propres, limitées, pour atteindre un objectif, généralement élevé. Plus l’unité est de taille réduite, plus elle est géographiquement isolée et plus le sentiment de devoir «compter sur ses propres forces» sera puissant.

On doit utiliser au mieux toutes ses ressources au lieu de les gaspiller dans des conflits internes
Le poids de ces contraintes aura un effet vertueux : le développement de l’esprit d’équipe. Il ne faut pas croire que les unités de base soient ainsi touchées par l’esprit de sagesse. En fait, il est dommageable, voire suicidaire, de gaspiller son énergie dans des conflits internes, lorsqu’on dispose de peu de ressources et que l’on fait face à  un environnement difficile. Aussi voit-on dans ces unités se développer les principes de fonctionnement suivants : entraide, mutualisation, coopération, respect des personnes, transparence, écoute réciproque, proximité du chef. Plus les processus sont tendus et plus la fluidité des comportements s’impose. Il n’y a rien à  redire à  ces principes vertueux, sauf que, fréquemment, un pivotement des attentes s’opère. En phase avec le scénario hystérique, les salariés de l’unité de base attendent la même transparence, l’association aux décisions et la proximité de la part des dirigeants du sommet de la pyramide.

C’est là  que le bât blesse. Nous avons vu que le dirigeant n’a pas intérêt à  écouter. Mais il y a plus. Consubstantiel à  la fonction de dirigeant est le choix de la stratégie. Par définition, la stratégie exige une certaine dose de confidentialité dans sa préparation et il est rare qu’une entreprise dévoile à  la communauté financière ses prochains coups à  l’avance. En stratégie, l’effet de surprise est l’atout maà®tre. Les dirigeants, déroulant le scénario obsessionnel, développent la pratique du secret et la maà®trise de l’image et des informations. Un dirigeant se gardera donc d’autant plus de tester une nouvelle idée auprès d’un cadre intermédiaire qu’il imagine que celui-ci est lié à  ses équipiers par un pacte de transparence. La demande de transparence et de participation aux décisions à  donc de fortes chances de rester insatisfaite. Et la confiance des salariés et cadres dans leurs dirigeants s’en trouve d’autant plus réduite.

Il y a un dernier facteur aggravant. Bien souvent, la direction générale prône des valeurs de transparence, d’esprit d’équipe et d’intégrité… alors que, dans les faits, elle est loin d’en être le serviteur exemplaire.

Avec les nouvelles formes d’organisation, les salariés ont l’impression d’être de simples exécutants
Nous y sommes. Les salariés ne sont pas moins motivés qu’avant et la valeur travail a encore de beaux jours devant elle. Le problème clé est celui de la confiance. Connaà®t-on une aggravation du phénomène depuis quelques années ? Certainement. De nombreux prophètes annoncent régulièrement la fin des structures tayloriennes cloisonnées sous la pression du client-roi, et leur remplacement par des organisations intelligentes, coordonnant des compétences pointues reliées en réseau.

Que constate-t-on, au contraire ? La victoire du client se traduit par un renforcement de l’organisation par processus, et donc de la bureaucratie. La mise sous tension des activités, la réduction des délais, le flux tendu, l’exploitation des synergies, le respect de standards de qualité : tout ceci s’accompagne d’une centralisation des décisions et d’une réduction des marges de manÅ“uvre des individus, cadres ou salariés. Ces derniers, ayant toujours plus le sentiment d’être de simples exécutants, optent pour un comportement de retrait que les sondages mentionnés au début ne font que révéler. CQFD.

La confiance ne brille vraiment que sous les feux de l’intérêt général. La préservation de ce dernier nécessite un double effort. Le management trouvera dans la fierté que chaque salarié tire de sa contribution au produit ou au service un levier pour faire vivre les valeurs fondatrices de l’entreprise. Si, parallèlement, cadres et salariés modèrent leur quête de transparence, il y a des chances pour que chacun trouve des voies de satisfaction dans le travail.