Carrière
Le salarié peut être lui-même à l’origine de sa mise à l’écart
Si une mauvaise gestion des relations humaines ou une nouvelle organisation peuvent entraîner l’exclusion plus ou moins délibérée d’un salarié, l’attitude de celui-ci est parfois au cÅ“ur du problème
Faire le point avec soi-même, son entourage immédiat, des personnes extérieures à l’entreprise, discuter éventuellement avec son supérieur ou la DRH sont indispensables pour comprendre et améliorer la situation.
Younès Bellatif DG de Convergence Conseil
Une personne détentrice du pouvoir peut décider d’écarter quelqu’un en lui proposant une fonction en deçà de ses compétences, ou même une fonction sur mesure, complètement en marge du système…
Isolement, sentiment d’inefficacité ou d’inutilité sont les difficiles conséquences d’une «mise au placard», parfois beaucoup plus difficile à vivre qu’un licenciement, explique Younès Bellatif, DGdu cabinet Convergence Conseil, qui livre ici quelques clés pour comprendre et décrypter ce phénomène… Entretien.
La Vie éco : Peut-on parler de la mise au placard comme d’une pratique courante au Maroc ?
Younès Bellatif : Ce qui est courant, ce n’est pas tant la mise au placard que la mauvaise gestion des relations humaines ou des conflits, qui peut avoir comme conséquence une forme de harcèlement moral exercée sur le salarié… Harcèlement qui peut avoir deux types de conséquences : d’abord, le salarié lui-même, se sentant harcelé, peut se mettre tout seul à l’écart, ou au placard si vous voulez, en se disant «je me planque» pour ne plus avoir à subir les pressions dont il est victime.
Deuxièmement, la personne détentrice du pouvoir peut décider officieusement d’écarter quelqu’un en lui proposant une fonction en deçà de ses capacités et de ses compétences, ou même une fonction sur mesure, complètement en marge du système… Cette pratique n’est pas spécifique au Maroc, elle est inhérente à tout système d’entreprise, d’association ou d’administration, plus généralement à tout système o๠se jouent des relations humaines, de pouvoir, et o๠des objectifs collectifs sont à atteindre.
Quelles peuvent être les causes de ces mises à l’écart ?
Il peut d’abord y avoir une nouvelle organisation, dans laquelle certains salariés n’ont plus ou ne trouvent plus leur place, une redistribution des portefeuilles qui a oublié, pour différentes raisons, certains membres de l’équipe. Il peut y avoir aussi la menace potentielle que représentent ses collaborateurs pour certains dirigeants ou «petits chefs», qui choisissent d’annihiler les ambitions et performances de ceux-ci en leur coupant les pattes, ou les ailes… Enfin, une mise à l’écart peut tout simplement découler d’un banal conflit de personnes, complètement subjectif, fruit d’une rancÅ“ur humaine, quand une personne tente de canaliser la compétence de l’autre en le mettant à l’écart.
Mais attention, on a toujours l’impression que la mise au placard vient de l’extérieur. Je tiens à rappeler que certains salariés s’y mettent d’eux-mêmes en quelque sorte… Soit parce qu’une nouvelle distribution pousse des personnes à se mettre dans une posture passive par rapport à un changement d’orientation, soit par leur comportement, parce qu’elles adoptent une attitude de résistance face à un changement donné.
Qu’est-ce qui peut expliquer cette attitude venant d’un dirigeant ? Est-elle vraiment stratégique ?
D’abord, quelqu’un qui se sent harcelé moralement ou mis au placard peut craquer, puis démissionner, ce qui coûte moins cher à l’entreprise qu’un licenciement… Deuxièmement, la personne qui exerce ces pressions n’a pas forcément le pouvoir de licencier quelqu’un, dans des entreprises aux multiples étages de décision, et sa seule manière de l’étouffer peut être de le mettre au placard, ce qui devient une forme de harcèlement.
Il faut noter que, pour certains salariés qui en sont victimes, l’exercice de cette pression et de cet isolement peut être beaucoup plus difficile à vivre qu’un licenciement. Il est vrai qu’on a parfois affaire à des purs «psychopathes» de l’entreprise, psychopathes dans leur manière de gérer leurs collaborateurs, de les manipuler, et de les punir autant que le leur permet leur pouvoir.
Il y a par exemple la rétention de l’information : la personne est isolée au niveau des réunions, on oublie de la convoquer, elle ne se retrouve en possession que de 5 ou 10% de l’information… Ses performances en subissent automatiquement les conséquences.
Comment un salarié peut-il sortir de cette situation ?
La première des choses à faire est de se poser des questions par rapport à soi-même… Est-ce une mise à l’écart délibérée ou un comportement normal sanctionnant une petite baisse des performances ? Si ce comportement est récurrent, qu’il s’est manifesté par plusieurs attitudes répétées, il y a effectivement lieu de s’inquiéter ; au contraire, s’il est exceptionnel, on peut dire que ça arrive à tout le monde… Si le salarié conclut qu’une pression s’exerce à son encontre, qu’elle s’est manifestée à plusieurs reprises, pendant plusieurs mois, qu’elle porte préjudice à ses activités, à ses performances et à son intégration, alors il faut envisager de passer à un recours interne au système.
Commencez de préférence en discutant avec un ami proche au sein de l’entreprise, à qui l’on peut se confier, avec qui on peut partager ses doutes… Ce qui permettra d’avoir un avis extérieur mais informé des spécificités de la société. En parallèle, on peut se confier à la DRH, si l’on considère que celle-ci est suffisamment ouverte, prête à entendre ce genre de discours, et qu’elle va respecter son rôle, à savoir écouter d’abord et agir en conséquence ensuite. On peut penser aussi à un recours externe, à savoir partager son questionnement avec des amis, des gens qui sont en dehors du système de l’entreprise en question, et qui permettront d’avoir une idée plus globale du problème.
Résumons : faire le point avec soi-même dans un premier temps, puis avec des membres de son entourage immédiat dans l’entreprise, puis avec son environnement externe. Enfin, pourquoi pas, faire le point avec la personne concernée, celle qui exerce les pressions… Partager avec elle, sans l’accuser bien sûr, peut être une solution. Peut-être cette personne est-elle elle-même dans des schémas réducteurs et erronés concernant le collaborateur incriminé. Parfois une simple discussion peut être un déclic.