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Carrière

Imposer ses méthodes d’emblée vous expose au risque de rejet

L’erreur du manager qui débarque est de vouloir agir rapidement pour montrer son efficacité et de fonctionner avec ses propres repères.
Définir le projet de l’équipe, le mode de fonctionnement et le rôle de chacun est une bonne manière de faciliter l’intégration.
Des petits détails peuvent être source de dysfonctionnements ou de malentendus.

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Manager une équipe multiculturelle, c’est manager des collaborateurs qui viennent de cultures et d’horizons différents. Pour Laurent Weil, directeur ingénierie sociale et mobilité chez BPI Maroc (cabinet Optimum conseil), il existe trois facteurs essentiels quand on a affaire à une diversité culturelle : le contexte de l’entreprise, son mode de fonctionnement ainsi que la réalité quotidienne dans l’exercice de son métier. Explications.

La Vie éco : Quelles sont les difficultés auxquelles peut se heurter un manager quand il débarque dans un environnement différent ?
Laurent Weil : Le risque pour un manager est de vouloir agir rapidement et fonctionner avec ses propres repères. A certains moments, il faut accepter de se faire «manager par l’environnement», abandonner certaines certitudes et s’adapter à l’évolution de la situation, que ce soit avec un collaborateur, un client ou autre. Prenons l’exemple de la gestion du temps. On a beau planifier, vouloir optimiser son emploi du temps, au Maroc, les choses peuvent évoluer très rapidement. Une situation qui paraît figée peut se débloquer favorablement du jour au lendemain. De la même manière, un blocage peut survenir et perturber un process qui fonctionnait pourtant positivement. Les raisons sont souvent difficiles à déceler. On peut en penser ce qu’on veut. La capacité d’adaptation sera en tout cas décisive pour être en mesure de tirer le meilleur parti de la situation et protéger ses intérêts.

Comment doit-on alors conduire ce processus d’adaptation ?
Quand on arrive dans un nouvel environnement culturel, il y a trois sources d’information qui vous donnent les clés pour vous adapter et vous intégrer.
En premier lieu, le contexte de l’entreprise. C’est-à-dire sa situation économique, ses concurrents, ses enjeux de développement… Ensuite, le mode de fonctionnement de l’entreprise : quels sont les modes de relation clients ? Comment l’entreprise est-elle managée ? Comment sont réparties les responsabilités ? Est-on dans un mode de fonctionnement centralisé ou participatif ? Enfin, la réalité quotidienne des métiers et des compétences exercées dans l’entreprise.
Généralement, un cadre qui arrive dans un nouveau pays est soucieux de prendre ses marques. Du coup, il se concentre sur la mission qui lui a été confiée et passe rapidement à l’action pour montrer ce dont il est capable et démontrer sa crédibilité. Mais gare à ne pas donner l’impression à ses collègues ou ses collaborateurs que l’on est replié sur soi et que l’on va importer ses propres méthodes et son management. En s’ouvrant aux autres, en réalisant son mini-diagnostic personnel, on prend au contraire le temps de comprendre comment on va développer son propre mode de fonctionnement. Ensuite, on construit une méthode sur mesure à laquelle on prendra soin d’associer collaborateurs et partenaires. Au Maroc, on a la chance d’avoir une vraie tradition de mixité, que ce soit dans l’histoire du pays ou dans la réalité quotidienne d’aujourd’hui. Il n’y a pas d’a priori négatif vis-à-vis des différences culturelles. Il faut que ceux qui viennent travailler au Maroc se montrent à la hauteur. Pour les entreprises, la mixité est un facteur d’équilibre et de développement.

En somme, les barrages culturels ne sont pas aussi difficiles à surmonter qu’on le croit?
Le problème est de trouver les moyens d’aller au-delà des discours et des présentations formelles. Selon les mots et les perceptions que chacun met derrière, il existe des différences significatives. Si on n’y prend pas garde dès le début, et malgré la bonne volonté de chacun, des décalages se créent et provoquent progressivement des dysfonctionnements.
Les différences culturelles renvoient aux habitudes de chacun, à des choses très personnelles que l’on met derrière des notions communes comme le rapport au travail, à la hiérarchie, aux objectifs définis, aux délais, aux résultats… C’est difficile d’agir directement sur la dimension culturelle. En revanche, organiser des séances de travail où l’on définit le projet de l’équipe, le mode de fonctionnement que l’on va mettre en place et le rôle de chacun est une bonne manière de créer les conditions d’une intégration durable. Il faut concevoir une manière collective de travailler qui doit offrir des repères clairs à chacun.

Est-ce la façon de manager qui va changer ?
Je dirais plutôt que c’est la manière dont on va exercer son métier qui fera la différence. Prenons l’exemple des ingénieurs télécoms. Qu’ils soient basés à Casablanca, à Paris ou à Séoul, les compétences techniques qu’ils vont utiliser sont les mêmes. Entre spécialistes, ces ingénieurs pourront se comprendre. Les problématiques qu’ils auront à traiter se ressemblent. Néanmoins, ça ne suffit pas pour assurer une collaboration. Quels sont les modes de gestion, les modes d’échanges et de management. C’est bien l’adaptation des enjeux techniques du métier aux spécificités du fonctionnement local qui va déterminer la réussite de l’intégration.
Si on fait un rapprochement avec la gastronomie, les recettes sont comparables et peuvent facilement s’exporter. Mais la manière dont on va utiliser les ingrédients, les proportions et la manière de servir le plat sont différentes et doivent être en phase avec les habitudes locales.

Comment gérer cette différence culturelle au quotidien?
Surtout éviter l’esprit de forteresse, les «expatriés» d’un côté, les «locaux» de l’autre. On le constate encore souvent. Il faut privilégier un management de proximité avec son équipe. Les actions transversales sont l’occasion de bâtir des codes culturels communs. Tous les outils au service du développement, qu’il s’agisse d’un programme de formation, des actions de communication interne et externe, de la mise en place d’une charte de valeurs, se révèlent extrêmement efficaces pour dépasser les préjugés et les habitudes de chacun. Comme lors d’une fusion ou d’un projet d’entreprise, l’intégration se joue sur la durée. Au Maroc, la notion de légitimité est importante. Le manager doit créer de la confiance, donner aux salariés des raisons de croire en l’entreprise s’il veut compter sur l’implication de ses collaborateurs. Gare aux beaux engagements quand on arrive, qui ne sont pas suivis d’effets. Un manager doit s’adapter en permanence à son entourage professionnel et veiller régulièrement à entretenir ce lien, sous peine de tomber dans l’incompréhension et la frustration. A la longue, cela fragilise l’efficacité du manager. Dans bien des cas, on remarque que les petits détails peuvent être source de dysfonctionnements ou de malentendus. On risque de déstabiliser l’autre parce qu’on n’a pas de cadre de référence commun.

Surtout éviter l’esprit de forteresse, les «expatriés» d’un côté, les «locaux» de l’autre. On le constate encore souvent.
Il faut privilégier un management de proximité avec son équipe.

laurent weil
Directeur ingénierie sociale et mobilité chez BPI Maroc
A certains moments, il faut accepter de se faire «manager par l’environnement», abandonner certaines certitudes et s’adapter à l’évolution de la situation.