Carrière
Face à l’ennui, il faut agir ou partir
L’ennui peut s’installer si les échanges se limitent à des relations d’exécution.
Il est très difficile d’inverser la tendance lorsque la monotonie s’est déjà installée dans l’entreprise.
Mise au placard, travail routinier, mauvaise définition de poste, management directif… La liste est longue des facteurs qui peuvent engendrer l’ennui au travail. Pour éviter l’enlisement, on doit avoir le courage de provoquer la rupture. Mais tout dépend de la personnalité et des motivations de la victime. Les explications de Jamal Khalil, sociologue et professeur à l’Université Hassan II – Aïn Chock, Casablanca, également expert consultant en entreprises.
La Vie éco : Le Maroc est-il plus touché que d’autres pays par l’ennui au travail ?
Jamal Khalil : L’absence de données sur ce sujet ne nous permet aucune comparaison. Nous ne pouvons qu’émettre des hypothèses tirées d’une expérience sur le terrain. Nous nous trouvons devant trois situations : celle où l’intérêt de l’individu prime, celle où c’est celui du groupe et enfin celle où les intérêts convergent. Dans les entreprises, les trois situations coexistent. Tout dépend du mode de management appliqué. C’est en fonction de ces données que l’on peut parler du climat au sein de l’entreprise, entre autres, de l’ennui. Il est bien entendu que l’ennui ne peut se développer que dans un environnement où il y a divergence d’intérêts.
Qui sont les responsables de cette situation d’ennui dans l’entreprise ?
Les responsabilités sont toujours partagées. Elles sont aussi à chercher dans les fonctionnements particuliers de chaque entreprise. On peut cependant penser que la responsabilité est en rapport avec le niveau hiérarchique.
L’ennui serait alors le résultat d’un mauvais management ?
Oui, bien qu’il soit difficile de définir le bon management. Peu à peu le management participatif se substitue, au Maroc, au management autoritaire (on saisit de mieux en mieux son efficacité), mais il reste encore minoritaire. Si les échanges au sein de l’entreprise se limitent à des relations d’exécution, il peut y avoir très vite ennui. La rationalité froide peut être facteur d’ennui comme l’absence de rationalité (une mauvaise organisation, des tâches mal définies…). La multiplication des liens entre les personnes au sein de l’entreprise, l’écoute, sont les meilleurs remèdes. Le phénomène peut-il avoir des conséquences sur la santé ? Peut-on physiquement mourir d’ennui ?
On peut mourir de tout. On passe le tiers de sa vie d’adulte au travail. Si celui-ci est ennuyeux, inintéressant, on est devant trois choix : rester et subir, partir ou se battre pour changer les choses. Tout dépend de ce qu’on veut faire de sa vie et de sa mort.
Préconisez-vous la rupture ?
Oui. Cependant, chasser l’ennui nécessite un certain dynamisme. Ce qui est quelquefois peu aisé. Il devient en effet très difficile d’inverser la tendance lorsque la monotonie s’est installée dans l’entreprise. Une rupture est nécessaire et donc l’acceptation de l’idée de changement. Beaucoup y sont réticents. Une démarche pédagogique est souvent utile. Personne n’est totalement enchaîné. Lorsque l’on remonte dans l’histoire personnelle des gens, on se rend compte qu’ils ont bien fait des choix. L’adulte a perdu l’énergie qu’il avait, enfant, son goût pour le changement, la nouveauté. Il est toujours possible de basculer d’un système de vie à un autre, radicalement différent. Lorsque l’on se sent prisonnier d’un travail, d’une famille… Derrière ce que l’on appelle «devoir» se cache très souvent une réalité inavouable: le manque de courage.
Hommes, femmes, cadres ou non-cadres, sommes-nous égaux devant le mal ?
Non, d’ailleurs devant quoi sommes-nous égaux ? Ce serait terriblement ennuyeux !
« Lorsqu’on se sent prisonnier d’un travail, d’une famille… derrière ce que l’on appelle “devoir”, se cache très souvent en réalité un inavouable manque de courage.»
Jamal khalil Sociologue
«La rationalité froide peut être source d’ennui, comme l’absence de rationalité.»