Carrière
Elles sont à des postes à responsabilités, elles en parlent
Zineb Belghiti, Associée et co-gérante de l’agence Shop Com & the City – agence marketing spécialiste du point de vente.
«La féminité n’est pas en contradiction avec les responsabilités»
Les femmes ont toujours travaillé et ont toujours été nombreuses à le faire (travail domestique, travaux manuels traditionnels, cueillette, etc.). Depuis l’indépendance du Maroc, la femme a commencé à avoir une place de plus en plus importante dans la société et son statut s’est amélioré petit à petit. Depuis la fin des années 60, la femme marocaine n’a pas cessé d’évoluer dans le milieu professionnel. Aujourd’hui, les femmes sont présentes dans pratiquement toutes les sphères sociales et professionnelles. Elles deviennent de plus en plus indépendantes et aspirent à être l’égal de l’homme. En général, les femmes entrepreneurs sont présentes dans les sociétés de service (communication, marketing, conseil, etc.). Quand on occupe des postes à responsabilités, il arrive que l’on soit confronté à des conflits avec ses collaborateurs masculins, s’ils ont encore une mentalité machiste. Ils peuvent effectivement porter des jugements négatifs sur la gestion de certains projets, sur la capacité de leur supérieure hiérarchique femme à gérer certains dossiers. Au sein de Shop com & the City, ce n’est pas le cas. Nous avons instauré le dialogue, l’écoute et le travail en équipe. Mes collaborateurs sont constamment impliqués et sollicités. Je ne pense pas qu’ils me perçoivent comme leur «Patron femme» mais plutôt comme un leader qui souhaite autant qu’eux la réussite de l’entreprise et de chacun des projets sur lesquels nous travaillons, et ce sans aucune discrimination. Lorsque nous avons décidé de nous lancer dans la création d’entreprise, je savais que ce ne serait pas simple. Ma vie familiale allait bien évidemment être impactée. Mon fils n’avait que 6 mois à l’époque et le parcours serait constamment semé d’embûches. Aujourd’hui, les femmes ont besoin de travailler pour s’épanouir. Elles ont une carrière à mener : ça c’est acquis. Mais paradoxalement, la société marocaine, les modes de vie n’ont pas évolué aussi vite car la femme est encore considérée comme responsable exclusive des travaux domestiques. Même si aujourd’hui de nombreuses tâches peuvent être déléguées, la femme est constamment prise dans la spirale de la culpabilité. La féminité n’est pas en contradiction avec les responsabilités et la capacité à gérer une entreprise. Un dirigeant d’entreprise renvoie une image à ses collaborateurs, à ses partenaires et à ses clients. C’est lui qui sert de référence ; il est en quelque sorte la vitrine de son entreprise. Si la féminité est cohérente avec les valeurs de l’entreprise alors il n’y a aucune raison de ne pas l’affirmer. Qu’on soit un homme ou une femme, il est indispensable de savoir que réussir en entreprise est souvent un travail de longue haleine. Par conséquent, il faut être ambitieux, tenace, réactif, rigoureux et volontariste. Lorsqu’on est une femme, on doit davantage démontrer son professionnalisme, parce que nous vivons dans une société «machiste», notamment dans les métiers les plus techniques, car malheureusement les partenaires ont encore tendance à considérer qu’une entreprise dirigée par une équipe féminine a moins de savoir-faire qu’une entreprise dirigée par des hommes. Les écarts de salaires entre les hommes et les femmes sont la preuve que le statut des femmes au travail n’est toujours pas équivalent à celui des hommes. Mais l’égalité entre les hommes et les femmes est un processus qui s’inscrit dans la durée et suppose un changement des comportements et des mentalités. Le corps professoral doit orienter et encourager de la même manière les hommes et les femmes pour obtenir les bases intellectuelles nécessaires afin de pouvoir envisager tous les domaines potentiels de carrière. Développer et mettre en œuvre des programmes d’équité en matière d’emploi et de rémunération. L’accès des femmes au marché du travail doit être amélioré par le financement de la création d’un nombre suffisant d’espaces de garderies. L’employeur doit offrir un environnement libre de toute insinuation malveillante et de tout harcèlement vis-à-vis des femmes.
Soundouss El Kasri, Rédactrice en chef de «Aufait» (quotidien gratuit d’informations générales)
«Je ne ressens aucune différence de traitement»
Je pense que toute femme qui a des compétences évolue dans le monde du travail aussi bien qu’un homme. Je tiens à souligner que ma situation personnelle est celle d’une femme qui a eu la chance de naître du bon côté de la barrière, qui a eu accès à la culture, à l’éducation…Sincèrement, je me sens tout à fait à l’aise avec mes collaborateurs hommes. J’ai même le sentiment que je suis respectée et appréciée seulement pour mon travail et non parce que je suis une femme. Je ne ressens aucune différence de traitement. Par ailleurs, je n’ai pas le sentiment d’avoir fait de sacrifices pour faire progresser ma carrière en dehors de l’effort et du travail. Je n’aurai pas eu à choisir entre cette vie ou une autre car c’est celle-ci que je voulais. Pour moi, être une femme n’oblige pas à s’affirmer plus. Je suis ce que je suis et je pense que c’est pour cette raison que je n’ai rien à prouver. Les femmes doivent rester fidèles à elles-mêmes, ne pas chercher à jouer à «l’homme». S’agissant des écarts de salaires entre hommes et femmes (à qualification et compétences égales), je trouve cette situation bien sûr injuste. Il n’y a aucun argument valable qui puisse expliquer ces écarts. Cela est d’autant plus incompréhensible puisque les chefs d’entreprises, de manière générale, préfèrent engager des femmes réputées plus sérieuses et consciencieuses. Enfin, je rajouterai que le statut marital des unes ou des autres (mariée ou célibataire) n’est pas un facteur favorisant ou bloquant notre ascension professionnelle même s’il est vrai que, lorsque j’ai été en couple, il n’était pas toujours facile de faire accepter le temps que je consacrais à mon travail.
Ghizlane El Yakine, Directrice commerciale import/export Manager de Cristalstrass (Voltolina)
«Pour réussir, il faut un caractère fort et un savoir-faire»
Le top management de Cristalstrass est majoritairement masculin, je suis la seule femme. Mon poste m’oblige souvent à voyager et à côtoyer beaucoup d’hommes (clients, partenaires, fournisseurs, etc.). Je ne bénéficie d’aucun traitement de faveur, nous travaillons en parfaite harmonie. En réalité, seule la collaboration et la communication – management participatif – sont les facteurs-clés de succès pour le développement d’une carrière et ce quel que soit le sexe. Par ailleurs, seules les compétences font la différence. Je fais partie de ces femmes pour lesquelles la carrière professionnelle est synonyme d’épanouissement personnel. En effet, j’accorde plus d’importance à ma vie professionnelle et surtout je suis célibataire et je n’ai donc aucune obligation familiale. J’ai par exemple récemment reporté mes congés d’été pour une mission à Johannesburg. Ne pas avoir d’enfants m’offre plus de liberté, j’aime beaucoup voyager, cela me permet la découverte d’autres cultures et mentalités et cela m’aide à perfectionner et faire évoluer ma carrière. Cela ne signifie pas qu’une femme mariée ne peut pas réussir, au contraire, mais simplement elle doit généralement déployer plus d’efforts pour trouver un équilibre entre vie familiale et professionnelle. Je pense qu’il n’est pas nécessaire d’affirmer sa féminité pour réussir mais plutôt d’avoir un caractère fort, un savoir-faire, des compétences, tout simplement au même titre qu’un homme. Les femmes sont capables d’assumer et de gérer de grandes responsabilités, d’ailleurs, la femme marocaine le prouve très clairement aujourd’hui. Pour moi la féminité est un avantage. Le secteur du luminaire requiert d’avoir une sensibilité esthétique et artistique, les femmes ont par définition une fibre artistique plus développée. Il n’y a que le travail qui paye. Il faut savoir communiquer, partager et surtout maîtriser ses émotions.
En général, les femmes semblent rencontrer davantage de difficultés que les hommes dans leur carrière, notamment en termes de salaire, et ce quel que soit le poste qu’elles occupent. Les qualifications à elles seules ne suffisent pas à atténuer l’écart. Les inégalités de salaires entre hommes et femmes demeurent au Maroc comme dans le reste du monde.
Logiquement, l’homme et la femme doivent être rémunérés en fonction de leurs compétences et pas sur des considérations arbitraires. Les femmes sont confrontées à des obstacles dus à la résistance de leur environnement. Il est fréquent de constater que ces dernières consacrent plus de temps et déploient plus d’énergie pour convaincre, elles doivent même se justifier. Me concernant, je me déplace très souvent – deux voyages par mois en moyenne – et pour chaque mission, mon engagement et mon dévouement m’assurent d’acquérir plus de crédibilité auprès de mes collaborateurs. Personnellement, je combats la différence idéologique entre hommes et femmes car ils sont des partenaires complémentaires, l’un a besoin de l’autre pour assurer un développement et un progrès continu.
Houria Tazi Sadeq, Avocate et titulaire chaire UNESCO interdisciplinaire pour une gestion durable de l’eau
«Le travail des femmes a des effets bénéfiques sur la famille»
Il est évident que la place des femmes marocaines sur le marché du travail est de plus en plus palpable. Elles investissent progressivement, de manière visible et à tous les échelons, tous les secteurs d’activités, notamment dans des métiers autrefois réservés aux hommes : ingénierie, finance, médecine, justice, monde des affaires, administration, etc. D’ailleurs, si elles sont candidates aux mêmes postes que les hommes, elles poursuivent les mêmes études. Je ne voudrais pas oublier la «débrouillardise» de femmes sans diplôme et qui pourtant se sont révélées très créatives, productives et reflètent une image positive. Par ailleurs, le travail des femmes, dans la conjoncture économique actuelle, a des effets bénéfiques sur la famille. Différentes réformes, code de la famille, code du travail, code de la nationalité, dispositifs sur les quotas en matière d’élections et l’impact des conventions internationales auxquelles le Maroc a souscrit ont bien entendu contribué aux changements et favorisent l’émancipation des femmes dans les sphères économique, sociale et politique. Mais le plus difficile reste le changement des mentalités ! Je suis partisane de l’approche «genre» et donc de la parité homme/femme mais uniquement si elle est fondée sur la méritocratie. Je souhaite que l’on n’ait plus besoin du système de quotas. Il s’agit de mettre en œuvre l’égalité prévue dans notre Constitution mais aussi de rendre effective la justice sociale et le respect de la dignité des femmes. S’agissant de la sphère politique, je ne comprends pas pourquoi on continuerait à développer un discours en faveur de l’émancipation des femmes si au moment de «placer» les militants, les résistances se manifestent en plus de cette tendance à cantonner les femmes à des ministères agissant en matière sociale, familiale ou encore en faveur des handicapés. Sans minimiser l’importance de ces questions et sans ignorer la configuration du gouvernement actuel, c’est une manière d’étendre la notion de division du travail connue dans la sphère privée et la sphère publique.
Enfin, je ne pense pas que le fait d’être épouse et mère de famille vient entraver l’évolution de la carrière professionnelle d’une femme dès lors que la grossesse est planifiée, que les époux le décident ensemble. Sans oublier la chance de pouvoir bénéficier de l’aide de l’entourage. Soulignons que la réforme actuelle de la couverture médicale généralisée facilitera les modalités relatives au congé maternité/parental. Donc la reconnaissance des rôles des femmes dans le développement et l’approche «genre» sont incontournables pour accompagner et permettre à tous les chantiers «du changement» d’aboutir. Une femme en plus ne signifie pas un homme en moins mais une société respectueuse des droits de personne humaine, de la justice sociale et de la dignité. Les femmes au travail contribuent à la richesse et au développement de notre pays et à augmenter le niveau de vie de leur famille qui bénéficie d’un meilleur accès à l’éducation, aux soins, aux loisirs, à la culture……au mieux-être.