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Carrière

Contrainte par corps en matière civile, les employeurs sont concernés

Des modifications ont été apportées à la loi pour éviter les abus dont les débiteurs de bonne foi faisaient parfois les frais

Les personnes âgées de moins de 18 ans et de plus de 60 ans ne peuvent être soumises à la procédure de la contrainte par corps.

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Ali serhani Consultant Gesper Services

On a beaucoup parlé dernièrement de l’abrogation par le Maroc de la contrainte par corps. Pour le commun des mortels, celle-ci ne concerne que les personnes endettées dans des circonstances diverses. Pourtant, même les employeurs sont concernés par cette abrogation.
Lesquels ? Ceux qui ont souscrit des prêts pour le compte de leur société tout en se portant caution solidaire ; ceux qui ont souscrit un emprunt jeune promoteur, par exemple, et qui, à leur tour, et pour diverses causes, ne peuvent rembourser ce qu’ils ont emprunté, etc. Car, en plus du drame que constitue la faillite ou le redressement judiciaire d’une entreprise, l’employeur devra impérativement rembourser ce qu’il a emprunté. Si ce dernier en a les moyens, il n’y a pas de problème. Dans le cas contraire, et s’il est de bonne foi (preuves à l’appui), le législateur, via la nouvelle loi, et pour cette dernière catégorie, a prévu différents aménagements.

Que dit la nouvelle loi ?

Le Bulletin officiel n° 5 477 (version arabe) du 27 novembre 2006 et n° 5 480 (version française) du 7 décembre 2006 ont publié la loi n°30-6 modifiant le dahir du 20 février 1961 relatif à l’exercice de la contrainte par corps en matière civile. Via cette loi, les dispositions des articles 1er et 2 du dahir du 20 février 1961 relatif à l’exercice de la contrainte par corps en matière civile sont modifiées et complétées comme il suit :
Article premier : «L’exécution de tous jugements ou arrêts portant condamnation au paiement d’une somme d’argent peut être poursuivie par la voie de la contrainte par corps»… «Toutefois, une personne ne peut être mise en prison pour le simple fait de son incapacité à remplir un engagement contractuel».
Article 2 : «La contrainte par corps s’exerce selon les règles et modalités fixées par les articles 633 à 647 du dahir du 3 octobre 2002 relatif au Code de procédure pénale».
Voilà ce qu’il en est des limites juridiques apportées à l’exercice de la contrainte par corps en matière civile. Essayons d’y voir un peu plus clair !
Tout d’abord il y a lieu de souligner que les nouvelles mesures adoptées par le Maroc dans le cadre de la réforme de la procédure relative à la contrainte par corps s’inscrivent dans la droite ligne des dispositions de l’article 11 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966 qui «interdit la contrainte par corps pour non-exécution d’une obligation contractuelle», dans la mesure où il n’est permis de recourir à cette mesure que pour les débiteurs dont il est prouvé qu’ils sont en mesure de régler leur dette.
Dans le cinquième rapport périodique sur la mise en œuvre du Pacte international relatif aux droits civils et politiques soumis par le Maroc au Comité des droits de l’homme des Nations Unies, conformément à l’article 40 dudit pacte, le Maroc a pris en considération les observations finales du Comité des droits de l’homme formulées à l’occasion de l’examen de son quatrième rapport les 20 et 21 octobre 1999. Ce
5e rapport, notamment dans ses pages 22 et 23, précise très clairement ce qui suit :
La contrainte par corps est organisée par les articles 633 à 647 du Code de procédure pénale marocain.
Elle est prévue pour l’exécution des condamnations à l’amende, aux restitutions, aux dommages-intérêts et aux frais. La durée de la contrainte par corps est proportionnelle au montant des sommes à payer, en vertu des dispositions de l’article 638 du Code de procédure pénale qui les énumère comme suit :
– Pour une dette inférieure à 8 000,00 dirhams : emprisonnement de 6 à 20 jours ;
– Pour une dette supérieure ou égale à 8 000,00 dirhams et inférieure à 20 000,00 dirhams : emprisonnement de 15 à 21 jours ;
– Pour une dette supérieure ou égale à 20 000,00 dirhams et inférieure à 50 000,00 dirhams : emprisonnement de 1 à 2 mois.
– Pour une dette supérieure ou égale à 50 000,00 dirhams et inférieure à 200 000,00 dirhams : emprisonnement de 3 à 5 mois ;
– Pour une dette supérieure ou égale à 200 000,00 dirhams et inférieureà 1 000 000,00 de dirhams : emprisonnement de 6 à 9 mois ;
– Pour une dette supérieure ou égale à 1 000 000,00 dirhams : emprisonnement de 10 à 15 mois.
Toutefois, la contrainte par corps est entourée de mesures restrictives destinées à protéger le débiteur défaillant.
Elle ne peut s’appliquer lorsque le condamné justifie de son insolvabilité par :
– La présentation d’une attestation d’indigence et d’une attestation de non-imposition (biens immobiliers & impôt sur le revenu -IR), conformément au Code de procédure pénale, article 635 ;
– Elle ne peut s’appliquer aux personnes âgées de moins de 18 ans ou de plus de 60 ans ;
– Elle ne peut être exécutée contre un débiteur au profit de son conjoint, ses ascendants, descendants, frères et sœurs, oncles et tantes, neveux et nièces et alliés au même degré ;
– Elle ne peut être exécutée simultanément contre le mari et l’épouse, même pour des dettes différentes, ni contre une femme enceinte ou une femme allaitante pendant les deux années suivant son accouchement ;
– Elle n’est exécutée qu’à la suite d’une procédure prévue par le Code de procédure pénale : injonction de payer infructueuse pendant un mois, requête du créancier, vérification du dossier qui est alors transmis au procureur pour exécution.

Qu’en est-il d’un ressortissant étranger (employeur – personne physique) établi au Maroc et se trouvant dans cette situation ?

La même procédure lui sera appliquée. Cependant, la personne concernée aura à justifier de son insolvabilité par la production d’une attestation d’indigence émanant non pas de l’autorité compétente marocaine mais de son consulat ou ambassade au Maroc. Elle devra également se rapprocher du service en charge des affaires judiciaires au sein du consulat ou ambassade. Ce dernier est en rapport avec les autorités judiciaires marocaines.
Pour les ressortissants des pays avec lesquels le Maroc a signé des conventions (France et Espagne), ils devront se rapprocher de ce que l’on appelle dans le jargon juridique un magistrat de liaison (originaire du pays concerné), qui est établi au sein du ministère marocain de la justice (un magistrat de liaison marocain est également domicilié au sein des ministères de la justice des pays susmentionnés).
Il demeure entendu que l’abrogation de la contrainte par corps ne concerne que les personnes de bonne foi. Donc, tout employeur désireux de contracter un emprunt devra avant tout veiller à faire fructifier son affaire plutôt que de se dire que, dans le pire des cas, et en cas de faillite, il n’aura rien à craindre pour sa personne physique. La justice ne sera pas dupe. Ne dit-on pas dans notre jargon populaire : «Ce que pense le chameau ?, le chamelier l’a déjà pensé !»