Carrière
«Les luttes de clans génèrent
Pour l’ancien DRH et actuel patron du cabinet Diorh Essaïd Bellal, le clan se manifeste de manière sourde, implicite.
La circulation (ou la rétention) de l’information est au centre
des attitudes claniques et entraîne un manque de synergie.
L’apparition de clans dénote en général une faiblesse
du management, en premier lieu de la direction générale.
Essaid Bellal n DG du cabinet Diorh
«Les séminaires d’intégration encouragent l’entrecroisement, la transversalité, la découverte de l’autre dans une dimension autre que celle déterminée par le clan, et c’est positif».
DRH dans une filiale de multinationale pendant une longue période et aujourd’hui DG d’un des cabinets de conseil en RH parmi les plus connus de la place, en l’occurrence Diorh, Essaà¯d Bellal sait bien de quoi il parle quand on l’interroge sur le problème des clans dans l’entreprise. Pour lui, ce produit du dysfonctionnement du management qu’est le «clanisme» existe bel et bien mais a tendance à s’atténuer eu égard à la montée en puissance de la notion de «compétence» dans la gestion des hommes. Le manager doit toutefois être vigilant et éradiquer le mal à la base parce qu’il va à l’encontre des intérêts de l’entreprise.
La Vie éco : De par vos expériences, en tant que DRH par exemple, avez-vous déjà été confronté au phénomène des clans dans l’entreprise ?
Essaà¯d Bellal : Oui, mais de manière sourde par la force des choses. On le sent, mais sa manifestation est très rarement explicite. Ce sont surtout ceux qui vivent ce phénomène au premier degré qui le ressentent.
Bref, ce sont des choses que l’on ne peut pas nier. Surtout dans un environnement o๠la région, le type de formation, les affinités de niveau social ont leur importance. Si on est du même patelin, systématiquement, cela a un effet, et au Maroc, c’est encore quelque chose d’assez fort. Néanmoins, ces phénomènes s’atténuent du fait que, heureusement, l’ouverture des marchés et la mondialisation ont eu un effet réel, qui est que la compétition est devenue internationale, et que c’est la compétence qui fait la différence. En d’autres termes, on privilégie toujours un peu, bien sûr, les gens du clan, à condition qu’ils aient des compétences.
Quel effet peut avoir l’apparition de clans sur la productivité, l’ambiance, le fonctionnement de l’entreprise ?
On trouve par exemple des entreprises qui appartiennent à une personne qui privilégie ouvertement les gens de sa région. Cela peut apporter un plus parce que ces gens-là , qui constituent parfois la majeure partie de l’entreprise, sont soudés… En dehors de ces cas, c’est-à -dire un clan fort et déclaré, le phénomène est généralement négatif.
D’abord parce que ça ne permet pas la synergie au sein de l’entreprise, sachant que le clan veut souvent dire absence de communication, compétition négative, médisances…, un certain nombre de choses qui entravent la marche normale du travail.
Ensuite, il y a les combats ou des luttes sourdes entre différents clans. Quel clan réussira à placer son homme à la tête de tel ou tel département ? En général, les luttes de clans ont des effets très négatifs, aussi bien pour les gagnants que pour les perdants. Les premiers ne sont jamais totalement gagnants, et les seconds ne baissent jamais les bras. Par conséquent, les tensions persistent, et c’est toujours aux dépens de la sérénité dans l’entreprise.
Même si un clan prend le dessus tout en restant officieux, il marginalise les autres et les démotive en même temps. Ce qui fait qu’il y a une partie de l’entreprise qui ne s’engage pas au même niveau. Ce genre de choses est foncièrement négatif pour l’entreprise. On peut sentir le phénomène, mais, malheureusement, il est très difficile de le cerner suffisamment pour pouvoir vraiment lutter contre.
Sur un autre plan, au sein de l’entreprise, on a toujours, par la force des choses, des gens qui viennent de la même région. Cela ne veut pas dire qu’ils constituent un clan. Mais une personne de mauvaise foi peut considérer que c’est le cas et agir en conséquence.
Quel type de comportement peut faire apparaà®tre des clans ?
D’abord la rétention d’information, alors qu’aujourd’hui c’est surtout celle-ci qui fait la différence. C’est une sorte de lutte pour le pouvoir. On marginalise ceux qui ne sont pas assez forts : soit ils sont soumis totalement au clan, soit ils sont totalement mis à l’écart. Ce qui est contre-productif. Ce comportement est même très négatif du fait que les intérêts de l’entreprise sont occultés au profit des querelles de chapelle.
Qu’est-ce que vous conseillez aux managers qui se retrouvent dans cette situation ?
De ne surtout pas rentrer dans le jeu des clans, de rester neutres et rationnels vis-à -vis des collaborateurs, et de toujours faire prévaloir l’intérêt commun et général de l’entreprise, de donner l’exemple. En même temps, si on en a la capacité, de se montrer strict sur le respect des règles et des valeurs de l’entreprise. C’est-à -dire que dès que l’on dispose d’éléments suffisants pour vérifier qu’un clan existe, il faut avoir le courage de séparer les personnes et à la limite de neutraliser d’une manière ou d’une autre la tête du clan. Il ne faut pas hésiter, s’il le faut, à aller jusqu’à se séparer de cette personne : c’est une mesure qui peut avoir des effets positifs voire salvateurs.
Certains défendent l’idée que le clan peut avoir des effets bénéfiques : fluidité de l’information, moyen de promotion…
Je ne crois pas. Sincèrement, non ! Dans le sens o๠aujourd’hui, et de plus en plus, tous les services s’entrecroisent, s’interpénètrent…
Deuxièmement, quand on parle de clan, on parle d’une partie des personnes qui est opposée aux autres.
Je ne vois pas aujourd’hui en quoi cela peut être positif dans la nouvelle vision du management, dans un monde du travail plus ouvert o๠plus de synergies doivent être créées, o๠l’on recherche plus de transversalité… Cela ne va pas du tout dans le même sens.
Certains proposent des séminaires ou week-ends d’intégration… Est-ce une bonne chose de vouloir favoriser les relations extra-professionnelles entre les employés ?
Définitivement oui, et je dirai même qu’il s’agit d’une démarche qui va à l’encontre de la constitution de clans. D’abord parce qu’avant tout nous sommes des êtres humains. On croit au départ que nous n’avons que des affinités culturelles ou de région. Pourtant, on peut aussi avoir d’autres affinités liées au tempérament, à la personnalité, aux hobbies, aux goûts, et c’est dans ces moments-là qu’on peut les découvrir et créer d’autres types de rapports. Du moment qu’on sort du clan unique ou «officiel», et que l’on construit d’autres types de relations, les clans disparaissent forcément.
Je ne suis pas contre l’entrecroisement des clans, on peut être dans plusieurs clans. Ce n’est pas mauvais. Ce qui l’est, c’est d’être dans un clan précis qui ne tolère pas qu’on soit dans un autre.
En résumé, ce type de séminaire encourage l’entrecroisement, la transversalité et la découverte de l’autre dans une dimension autre que celle déterminée par le clan, et c’est positif.
Avez-vous vu des luttes de clans déboucher sur des extrémités inquiétantes ?
Oui, dans certains cas, ces luttes ont complètement altéré le fonctionnement de l’entreprise, mais cela dénote toujours une faiblesse du management, principalement de la direction générale.