Affaires
Anass Alami : L’Etat ne nous force jamais à investir
Le résultat net a augmenté de 266% par rapport à 2009 et le résultat consolidé de 164%. BNDE : 2 milliards de DH remboursés, 633 millions récupérés. La CDG dit placer la rentabilité des projets avant l’intérêt général.
La Caisse de dépôt et de gestion a réalisé de très bons résultats en 2010. A l’origine, une gestion active du portefeuille actions qui a permis de réaliser de grosses plus-values, notamment sur Méditel. Son DG, Anass Alami, est conscient de la volatilité des résultats, mais dit travailler avec son équipe pour la contenir de sorte à assurer une croissance modérée, mais continue. Filiales en difficulté, dossier de l’ex-BNDE, avenir du CIH, intervention dans le tourisme, l’immobilier et l’aménagement, relations tendues avec la CNSS…, tous les grands dossiers de la CDG ont été abordés.
En 2009, la CDG avait enregistré des résultats en baisse, tant au niveau des comptes?sociaux?que?des comptes consolidés. Qu’en est-il en 2010 ?
L’exercice 2010 s’est très bien terminé. Le résultat net est passé de 401 MDH à 1,466 milliard, soit une hausse de 266%. Le PNB consolidé a atteint 5,295 milliards de DH contre 4,386 milliards en 2009, soit une progression de près de 20%. Quant au résultat net part du groupe (RNPG), il est passé de 733 MDH à 1,938 milliard.
Par quoi peut-on expliquer ce redressement spectaculaire ?
Il faut d’abord comprendre le modèle économique de la CDG. La caisse s’est réveillée dans la décennie 2000-2010 dans le sens où elle a transformé une partie de son portefeuille obligataire en portefeuille actions en investissant soit dans ses propres métiers (immobilier, aménagement du territoire) soit simplement sur le marché financier. Forcément, il faut s’attendre à ce que le résultat ne soit pas aussi stable qu’il ne l’était dans les années 90. On va donc assister d’une manière structurelle à plus de volatilité qui dépendra des marchés principaux, à savoir le marché immobilier et le marché financier. Vient s’ajouter une dynamique interne qui est celle d’une gestion active du portefeuille. A ce titre, nous avons réalisé une opération importante sur Méditel, dont la plus-value vient s’ajouter à nos résultats. C’est une opération de grande taille que nous avons eu l’opportunité de transformer. Nous n’avons pas hésité à le faire. C’est une opération qui a entraîné une hausse assez importante du résultat.
Compte tenu de cette volatilité que vous avez évoquée, ne risquez-vous pas d’avoir des résultats en dents-de-scie ?
Notre ambition est justement de réduire cette volatilité. Nous allons nous atteler à ce qu’elle se réduise pour que nous puissions avoir une croissance qui soit modérée mais maintenue dans le temps. Maintenant, les opérations qui ont été réalisées pour des raisons purement techniques ne sont pas toutes dans les résultats.
Par exemple, nous avons réalisé une opération de plus-value importante sur la CGI en mars 2010. La plus-value réalisée en normes marocaines n’est pas reprise dans les normes IFRS. Par contre, elle passe directement dans les fonds propres qui se sont ainsi améliorés de 6 milliards de DH.
Vous investissez pratiquement dans tous les secteurs. En 2009, la CDG comptait 103 filiales. N’êtes-vous pas parfois forcés d’y aller ? En d’autres termes, l’Etat intervient-il dans vos décisions d’investissement ?
Il peut y avoir des suggestions, mais il n’y a jamais d’intervention dans le montage des opérations. Souvent on peut rendre intéressantes des opérations qui ne le paraissaient pas au départ. Tout dépend du montage.
Prenons le cas du projet Renault pour lequel nous avons été quelque peu critiqués. Pour nous, c’est une très belle opération financièrement ; pour Renault aussi, j’imagine. C’est une belle opération grâce au montage qui a été fait. Nous avons apporté notre signature pour lever des financements à des coûts intéressants et les apporter à Renault avec une marge intéressante.
Est-ce une participation durable ?
Plus l’investissement est intéressant, plus longtemps nous y restons. Toutefois, pour saisir de nouvelles opportunités qui se présentent, nous sommes obligés de sortir de certaines affaires pour pouvoir nous replacer ailleurs. Donc, pour cette opération, nous nous situons sur le long terme, mais il se peut qu’à un moment donné, nous remettions en question l’investissement en fonction des opportunités qui se présenteront. Nos moyens ne sont pas infinis. Forcément, nous sommes dans une logique de recyclage des investissements pour pouvoir réinvestir. C’est ce que nous avons fait par exemple avec l’offshoring où la CDG a fait un virage important. Au lieu de détenir les actifs, nous nous sommes permis de céder des actifs tout en en gardant la gestion. Nous avons réalisé une première opération du genre à Casanearshore avec une caisse de retraite.
Il y a quelques années, beaucoup?de?vos?filiales étaient en difficulté. On peut citer, entre autres, la Caisse marocaine des marchés, Sofac et Cellulose du Maroc. Qu’en est-il aujourd’hui ?
La Caisse marocaine des marchés (CMM) est devenue une société florissante, et développe maintenant ses activités dans les régions. Les problèmes sont largement derrière nous.
Cellulose du Maroc, quant à elle, est très exposée aux marchés internationaux de papier. Il est vrai que nous ne sommes pas des opérateurs industriels. C’est la raison pour laquelle des réflexions sont engagées de telle manière à ce que nous puissions lui donner les moyens de se développer. Son activité reste concentrée sur la production de pâte à papier avec une approche nouvelle consistant à cibler le marché marocain. En 2010, elle a réalisé un résultat net de 180 MDH. C’est un record parce qu’elle a profité de la flambée des cours des manières premières. Toutefois, les coûts sont bien maîtrisés parce que la société s’approvisionne en grande partie sur le marché local. Maintenant, nous voulons nous diversifier en fabriquant des produits à valeur ajoutée. Pour cela, il faut une marque, c’est-à-dire un partenaire industriel.
En gros, l’activité est en croissance, mais nous ne pensons pas que nous sommes les meilleurs actionnaires qui peuvent accompagner l’industrie et nous avons des partenaires financiers qui sont dans la même situation que nous.
C’est en fait Eucaforest, une autre filiale, qui approvisionne Cellulose. Qu’en est-il de cette filiale ?
Elle a, en fait, un métier de développement territorial, mais qui crée des emplois et de la richesse. Dans cette optique de développement territorial, nous avons monté un fonds spécialisé (Fonds Maroc Forêt), géré par la Société Forestière de la CDG (SFCDG), qui permet de planter pas seulement pour Cellulose. Par exemple, la SFCDG est prête à planter des oliviers pour accompagner la stratégie menée dans ce secteur.
Et la Sofac ?
Sofac a connu une phase de redressement. Il s’en est suivi une phase de développement durant laquelle elle s’est adossée au réseau de la Poste. Dans un premier temps, elle a eu du mal à digérer la production. Mais aujourd’hui, elle est en train de le faire. Il y a une période de transition pour s’adapter à cette nouvelle donne. Malheureusement, le marché a connu une baisse globale à cause de la crise. L’année 2011 sera une année d’équilibre.
n Il y a quelques années, la caisse avait été appelée pour sauver le CIH et la BNDE. Quel bilan tirez-vous de ces deux opérations ? Et si c’était à refaire?
Un bilan positif pour le CIH. Sans rentrer dans le détail des chiffres, le CIH est désormais une banque solide, qui a un plan de développement industriel, collecte des dépôts et distribue des crédits. Elle apporte une valeur économique. On ne peut être qu’heureux d’avoir contribué à ce développement.
Elle a pourtant du mal à devenir une banque universelle…
C’est difficile, mais elle a la capacité d’y arriver même si cela va prendre du temps. Ce n’est pas simple, mais ce n’est pas impossible.
Et la BNDE ?
Juridiquement, la BNDE est en liquidation. Nous avons remboursé plus de 2 milliards de DH. Pour ce qui concerne les clients, les opérations de recouvrement sont toujours en cours. Nous avons mandaté des cabinets d’avocats pour traiter des dossiers. A ce jour, 683 MDH ont été récupérés.
Ce dossier ne peut quand même pas traîner en longueur…
Il y a plusieurs possibilités pour résoudre ce genre de problèmes. Par exemple, il y a des sociétés spécialisées qui proposent de tout racheter. D’ailleurs, nous avons été approchés par des sociétés marocaines et internationales. Mais compte tenu de l’actif, nous estimons que nous pouvons toujours récupérer une partie des créances par nos propres moyens. De plus, nous connaissons les groupes débiteurs et le marché. Mais à un moment donné, il va falloir réfléchir à des solutions. De toute façon, tout est provisionné.
Restons dans la banque. Vous avez acquis 8 % de BMCE Bank et contrôlez le CIH. Peut-on imaginer une fusion entre ces deux banques pour en faire un solide 3e groupe bancaire national ?
Le CIH a son plan de développement. Il a la possibilité de créer beaucoup de valeur, de se développer par ses propres moyens. Comme le prévoit son plan stratégique 2010-2014, il peut faire de belles réalisations avec le soutien des actionnaires, même s’il est difficile d’entrer sur un marché avec un certain retard.
Pour le regroupement avec BMCE Bank évoqué par certains, on peut considérer qu’il paraît théoriquement séduisant. Mais ce n’est pas une question facile parce qu’il ne faut pas se borner à cumuler des chiffres. Maintenant, nous sommes preneurs pour tout ce qui permet d’accélérer le développement du CIH. C’est-à-dire que s’il y a un opérateur en mesure d’accélérer le processus de développement, nous serons ouverts à ses propositions, mais nous n’irons pas le chercher. En clair, nous ne sommes pas demandeurs. Pour le moment nous continuons à travailler sur notre schéma de développement.
La CDG a intensément soutenu l’immobilier et le tourisme. Quelles sont vos perspectives dans ces deux secteurs ?
Nous avons acheté les 7 hôtels du CIH qui a vocation à gérer ses activités bancaires non à gérer des hôtels. Aujourd’hui, nous avons un portefeuille d’une douzaine d’hôtels et une capacité de gestion. La CDG a l’ambition d’accompagner le gouvernement dans ses projets de développement dans le secteur du tourisme qui est très capitalistique. C’est un secteur qui crée de l’emploi et qui est rentable s’il est bien géré.
Il est cependant très volatil…
Le tourisme n’est pas plus risqué que d’autres secteurs. Le risque est mesuré par rapport à la rentabilité.
Quelles sont les perspectives dans ce secteur ?
Nous attendions que la Vision 2020 soit rendue publique. Maintenant, nous sommes en train de voir comment nous pouvons accompagner le gouvernement à partir de nos moyens, mais surtout avec un critère de rentabilité d’abord et d’intérêt général ensuite.
Ce sont deux critères qui paraissent antinomiques ?
Pas du tout. Il est possible de suivre les deux. Je précise que le projet doit être rentable d’abord. Par exemple, nous pouvons investir dans une destination non rentable tout de suite, mais en attirant d’autres investisseurs, nous pourrons tirer profit du développement.
On a l’impression que le tourisme et l’immobilier prennent le pas sur les métiers financiers…
Ce n’est pas le cas. La banque et les activités financières représentent 52% de notre PNB. Sur l’assurance et la réassurance, il est à 14% et à 18% sur l’aménagement (zones industrielles, offshoring, zones touristiques), l’immobilier et le tourisme. Le reste, 16%, est généré par les autres activités.
Dans l’immobilier, beaucoup disent que la CDG, de par son statut spécial, est favorisée pour l’achat des terrains surtout quand il s’agit de terrains de l’Etat…
Nous achetons les terrains au prix du marché, après expertise et contre-expertise. La CDG n’a jamais été favorisée aux dépens des autres promoteurs. Je suis catégorique là-dessus.
C’est un secteur où vous n’avez pas que des succès. Par exemple, Sonadac peine à résoudre le problème de l’Avenue Royale à Casablanca. Comment allez-vous vous y prendre pour finaliser ce projet qui traîne depuis des années ? Avez-vous fixé de nouvelles échéances ?
Pour le cas de la Sonadac, nous avons fait d’abord un travail important en termes d’assainissement de la gestion interne qui ne se voit pas. Il fallait commencer par ça quand la CDG a repris le projet. Aujourd’hui, la Sonadac est une société qui a les moyens de ses ambitions. CDG développement a déjà injecté près de 300 MDH en comptes courants dans ce projet auquel participe également la Ville de Casablanca. L’Avenue Royale est un projet qui ne peut avancer que s’il y a implication de toutes les parties prenantes. C’est un projet qui dispose d’actifs rentables qui peuvent dégager de la trésorerie pour financer d’autres actifs.
En d’autres termes, Sonadac doit développer des projets immobiliers sur ses terrains situés dans la périphérie de Casablanca, les vendre et dégager une plus-value pour indemniser ou reloger les occupants du site de l’Avenue Royale. La valeur des terrains n’existe que par la constructibilité. Il se trouve que les plans d’aménagement ne sont pas toujours favorables au plan de développement de la Sonadac. Il y a une discussion avec la Ville pour trouver des solutions.
L’Avenue Royale n’est pas impossible à réaliser. S’il y a un trou dans le financement, il faudrait que quelqu’un le prenne en charge. Pour le moment, je précise que la société a les moyens de ses ambitions.
Venons-en maintenant à la retraite. Où en sont les dossiers de transferts des fonds de certains offices (OCP, ONE…) et des régies au RCAR ?
L’opération OCP est clôturée avec la Caisse nationale de retraites et d’assurances (CNRA) qui a reçu un chèque de 7 milliards de DH en 2010.
Les dossiers des régies sont bien avancés dans l’ensemble. Il y a des régies avec lesquelles nous sommes d’accord sur le montant. Le principe est acquis pour certains. Le dossier de l’ONE est bloqué par un problème de financement. Le ticket est compris entre 10 et 12 milliards.
Ce qui est important dans les caisses de retraite, c’est de s’assurer qu’il y a une gouvernance de gestion aux standards internationaux.
La CNSS conteste le niveau de rémunération de ses dépôts. L’avez-vous revu à la hausse ? Selon quelles conditions ?
Nous pensons qu’il s’agit d’abord d’un problème de dépôt. Les textes sont clairs là-dessus : la CNSS est tenue de reverser les ressources collectées à la CDG. Actuellement, plus de 10 milliards de DH sont déposés chez d’autres opérateurs.
Sur le plan de la rémunération, la CDG n’est pas pire que les opérateurs du marché. Je pense même que nous sommes meilleurs. Nous sommes tout à fait capables d’offrir les mêmes rémunérations.
La CNSS a été sommée l’année dernière par le ministère des finances de rapatrier ces fonds auprès de la CDG. C’est fait ?
Non, pas encore, c’est en cours. Le retrait de fonds de chez nos confrères est une opération complexe. Encore une fois, les textes de loi sont clairs, mais nous ne souhaitons pas polémiquer.
Nous avons évoqué la situation des filiales qui étaient en difficulté. La Société chérifienne de réassurance (SCR) était dans la même situation et sera confrontée à la fin de la cession légale. Comment s’en sortira-t-elle ?
2012 sera en effet une année décisive pour cette compagnie parce que c’est la dernière année d’un décrochage qui s’est fait progressivement. En 2012, les compagnies d’assurances n’auront plus l’obligation de placer une partie de leur réassurance auprès de la SCR. A cette échéance, elle sera davantage en concurrence avec des opérateurs étrangers. Toujours est-il que la SCR a l’avantage de la proximité et elle va s’atteler à améliorer la réactivité et la productivité. Pour le moment, l’activité à l’international s’améliore, notamment en Asie du Sud-est. Cette activité internationale représente près de la moitié de l’activité globale. Elle permettra de compenser une perte de l’activité nationale.
En décembre 2009, lors d’une convention des cadres organisée à Skhirat, vous aviez dit que la CDG devait prendre en compte «ses contraintes bilantielles, ses ambitions sectorielles et son mode d’intervention au niveau international». Que vouliez-vous exprimer exactement ?
La CDG compte bien continuer sa mission d’investisseur institutionnel, mais de l’autre coté, il faudrait que les dépôts suivent. Or, ce n’est pas le cas aujourd’hui. Nous investissons par nos propres moyens, le cash-flow généré. Rien que pour 2011, CDG développement a prévu d’investir 11 milliards de DH. Il faut donc des ressources.
Mais vous pouvez lever des fonds…
Nous sommes sollicités pour cela, mais il faut que nous ayons de la visibilité sur les dépôts. Nous connaissons le montant qui provient de la Caisse d’épargne nationale, mais pour le reste, on attend de voir.
Si on voulait dessiner le profil de la CDG dans cinq à dix ans, à quoi ressemblerait-il ?
Un opérateur fort qui a réalisé tous les projets lancés sur la période 2008-2011 et les voit tourner de manière efficace. C’est aussi un opérateur cohérent dans le secteur financier qui rayonne sur certains pays en Afrique. Nous n’avons pas encore investi dans ce continent, mais nous avons des partenariats institutionnels avec certains pays que nous aidons à monter des structures du même genre.
La CDG, nous la voyons également comme un opérateur qui accompagne la régionalisation et les collectivités territoriales. Nous attendons plus de précision sur les textes sur la régionalisation pour voir ce que nous pouvons faire.